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TOI NON PLUS TU N'AS RIEN VU : LA CRITIQUE
Presque un film coup de poing, TOI NON PLUS TU N'AS RIEN VU est un témoignage poignant, mis en scène avec une rare efficacité, un hommage à la force féminine mais également une interrogation quant à certains mystères, ceux du corps humain et de la grossesse et de ce qu’elle peut engendrer. Sur un sujet particulèrement fort, se tisse une réflexion quant à la maternité et ce que l’on nomme le déni de grossesse. Empruntant aux codes du thriller, le métrage nous emporte au sein d’une enquête souvent dénué d’empathie, où le regard des uns et des autres est trop souvent axé sur le jugement en ommettant toute autre considération. C’est là toute la force du film - même si on en saisit rapidement la raison - de réussir à montrer comment d’une dimension psychologique et physiologique, on en arrive à des considérations purement « criminelles » et relevant de la justice. Débat complexe s’il en est, ce sujet, le déni de grossesse, est aujourd’hui toujours autant sujet à controverse !
TOI NON PLUS TU N'AS RIEN VU : L’INTERVIEW DE BÉATRICE POLLET
• Bonjour Béatrice, vous réalisez TOI NON PLUS TU N'AS RIEN VU. C’est un film bouleversant, parce qu’il emprunte son sujet à une histoire particulièrement complexe et au thème inattendu. Pourquoi ce choix, pourquoi cette approche à mi-chemin entre le thriller et le film de société ?
Béatrice Pollet : Je suis tombée un jour sur un encart, qui disait qu’une femme avait accouchée seule sans se savoir enceinte, et sans que personne ne se soit aperçu de son état… Ils parlaient de déni de grossesse. Et je ne comprenais pas. J’ai cherché. Et plus je cherchais plus je tombais sur des histoires de femmes incroyables et tellement riches. J’ai pu assister à un colloque en 2011 qui réunissait médecins, magistrats, avocats, sages femmes…à propos du déni de grossesse, et plus je tentais de comprendre le pourquoi « on fait un déni de grossesse » plus j’étais passionnée, même si j’ai dû admettre qu’on ne sait toujours pas pourquoi ça arrive !
Aussi j’ai choisi le biais du monde judiciaire pour retracer les faits et ce par quoi Claire va passer. Je crois que c’est un thriller judiciaire et intime finalement.
• Vous n’avez pas eu peur, au-delà de la critique, de caricaturer les personnages ; trop dramatiques, trop sombres ou excessif. C’est de plus un sujet sensible, et comme décrit d’ailleurs : tabou !?
Béatrice Pollet : Non je ne crois pas que ces personnages soient trop entiers, sombres ou trop proches d’une caricature, au contraire. Les personnages principaux ont des zones d’ombre mais pas que, ils ont heureusement leur part de lumière, d’espérance. Tant Claire et Thomas, le couple qui vit ce déni de grossesse, que Sophie l’avocate et son assistant Paul. Je les ai voulus nuancés pour tenter de parvenir à plus de justesse et d’émotions. Le seul personnage excessif est celui de la procureure, en effet. Elle est encore très jeune, débute dans le métier, et elle est choquée, au-delà de sa profession qui consiste à pousser la prévenue le plus loin possible, pour la faire déraper. Je me suis raconté que cette jeune trentenaire n’arrivait pas à tomber enceinte… ce drame la touche directement.
• L’histoire semble nous ramener vers ces drames sociaux, un peu à l’instar du cinéma italien, celui des années 70 ; une sensation renforcée, je trouve, par la musique très connotée.
Béatrice Pollet : C’est peut-être le début du film qui vous donne cette impression ? Autour de la piscine alors qu’ils passent les vacances de la Toussaint, tranquilles, et souriants. Pour cette séquence c’est à Jacques Deray que j’ai pensé ! Mais mes influences sont multiples.
• Vos actrices et vos acteurs - une mention au père de famille, enfin un rôle d’homme sensible et impliqué - sont tous excellents et profonds ! Vous avez travaillé « d’instinct » avec une certaine latitude, ou de façon très directive ?
Béatrice Pollet : Oui, tous étaient très sensibles à cette histoire, à ce chemin de vie tellement particulier et improbable.
Nous avons fait des lectures, où l’on a parlé du fameux « sous-texte » pour chacun des personnages. C’était un travail passionnant, donner les grandes lignes, les intentions, ce qui est dit, ce qui est sous-entendu, ou caché, au-delà des dialogues. Ensuite sur le plateau, on a cherché les nuances, en retirant, ou en simplifiant. On faisait 4 ou 5 prises en instillant un peu plus d’ambiguïté, un peu moins, en ayant une approche hyper sincère ou plus en retrait. Ce qui m’a permis au montage de jouer avec les émotions et tendre la trame dramatique le plus possible.
• En tant que spectateur on est révolté par ce qui nous apparaît à un moment comme la vérité avec cette reconnaissance de ce qu’est le déni. La maternité a toujours en elle cette part de mystère ; et ce qui s’ensuit, l’affolement judiciaire, nous effraie.
Ce besoin de trouver une coupable, cette ‘presque’ haine de la part de la procureure lors de la fameuse reconstitution dans la maison, sont très choquante !
Béatrice Pollet : Tant mieux ! Je voulais faire réagir les spectateurs, qu’ils soient eux aussi partie prenante de cette histoire, qu’ils en soient les témoins.
• À part le père de famille et le juge, il n’y a quasiment que des femmes à l’écran (si on omet quelques seconds rôles). On imagine bien qu’il s’agit d’une 'transcription', mais comment travailler autant de rôles féminins finalement assez forts, de la mère de famille, à son amie avocate, en passant par des personnages secondaires qui accentuent le drame.
Béatrice Pollet : Pour moi c’était très naturel d'ancrer l'histoire dans un univers très féminin. Je l’ai écrite dès le début comme ça. C’est une histoire fictive, avec des personnages totalement inventés mais inspirés par des dizaines d'histoires de déni que j'ai pu lire et des femmes que j'ai rencontrées et qui m'ont généreusement raconté leurs expériences.
• Avez-vous la sensation d’avoir mis en scène un ‘film pamphlet’ ? Et finalement n’est-ce pas plutôt une ode à la femme, au corps et ses mystères, à des choses dont on ignore encore le pourquoi ?
Béatrice Pollet : Un film pamphlet ? Non, je ne crois pas. J’ai voulu raconter l’histoire d’une femme à qui il arrive un truc que personne ne voit, que personne ne comprend, et qu’on va accuser de tentative de meurtre sur un enfant de moins de 15 ans… On ne la croit pas, on n’entend pas ce qu’elle dit, mais on la juge. Pourquoi on n'admet pas qu’on ne sait pas, et que la réponse de la société n’est pas la bonne ? Ces femmes ne sont pas un danger pour les autres, socialement, mais un danger pour leurs éventuels futurs enfants et pour elles-mêmes. Les jugements en cour d’Assises et la préventive ne contribuent pas à résoudre le problème, au contraire.
• Et le mot de la fin… peut-être est-ce un très beau film féministe, sans la lourdeur des films engagés !? Comment avec le recul (et avant sa sortie) le voyez-vous ?
Béatrice Pollet : Oui, ce film à quelque chose à voir avec une vision féministe, mais comment ne pas être féministe quand on voit les freins qui entravent la notion d’équité homme-femme ? Féministe pour défendre des valeurs de vie ensemble, de partage au quotidien, des valeurs d’équivalence dans le monde du travail…des femmes comme Françoise Héritier, Gisèle Halimi, Simone Veil nous ont montré le chemin. C’est merveilleux de voir comme la jeune génération reprend le flambeau avec une pensée aiguisée, sans entrave... J'espère que c’est un film qui s’attache à l’humain ; femme ou homme, la souffrance, la peur, la joie, l’amour… ça finit par être pareil non ? Peut-être qu’il s’agit d’un film humaniste ! J’aimerais bien !
• Merci à vous Béatrice et bravo pour ce beau film !
Béatrice Pollet : Merci beaucoup !
Synopsis : Claire et Sophie ont fait leurs études ensemble. Elles sont toutes deux avocates. Claire va être accusée de tentative d'homicide sur enfant de moins de 15 ans. Sophie va assumer sa défense. Comment Claire, déjà mère de deux enfants, n'a-t-elle ni vu, ni senti qu'elle était à nouveau enceinte ?
Le casting :
Maud Wyler, Géraldine Nakache, Grégoire Colin, Roman Kolinka, Fanny Cottençon, Pascale Vignal, Pascal Demolon, Ophélia KolbLa technique :
Écrit et réalisé par Beatrice Pollet
Directrice de production : Noélène Delluc
Directeur de la photographie : George Lechaptois
Scripte : Florence Cheron
Ingénieur du son : Pierre Tucat
1er assistant réalisateur : Basile Jullien
Ensemblière décoratrice : Charlotte Filler
Cheffe costumière : Charlotte Le Bourgeois
Régisseuse générale : Alessia Gasparella
Chef monteur : Loïc Lallemand
Mixeur : Gilles Bernardeau
Musique originale : Pierre Schmidt & Mathieu Chocat
Sylvain Ménard, février 2023