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'TIGER STRIPES' de Amanda Nell Eu, un regard sur la femme au sein de la culture d'Asie du Sud-Est
08 mars 2024 à 08h00
'TIGER STRIPES', premier long métrage de la réalisatrice Amanda Nell Eu, nous invite à explorer l’identité féminine d’une jeune fille dans le milieu culturel et sociétal de l'Asie du Sud-Est, mais dans un contexte qui emprunte aux codes de l’horreur, jouant sur la transformation et la crainte. Un film à découvrir, osé et tranché, et qui porte un regard incisif sur la société malaisienne.
Si la Malaisie est un producteur conséquent de cinéma, et favorise la mise en chantier de séries et de films, on retrouve cette tendance bien plus avec des films d’action, des fresques historiques, des thrillers et films d’horreur… et rarement dans des domaines plus intimes, qui vont explorer une dimension plus physique, car c’est bien là le sujet.
La romance, l’amour sont des thèmes largement évoqués, l’adolescence et la puberté restent peu exploités. L’histoire est celle de la jeune Zaffan qui avec la puberté et l’adolescence se trouve entrainée malgré elle dans une spirale infernale (au sens littéral et figuré, fantastique, du terme) ; objet de curiosité, puis de rejet, une expérience que la réalisatrice, avec humour, dit avoir vécue.
Aussi, enfermée dans ce qui ressemble à un carcan basé sur les croyances et la culture, la jeune Zaffan souffre t-elle d’une forme d’ostracisme alors que son corps change et que la nature lui impose sa loi. On imagine aisément que l’image que renvoient des adultes très stéréotypés, souvent à la limite du cliché comme la mère de Zaffan, ou le « docteur », exorciste à ses heures, a été déterminante pour mettre en scène ce conflit de génération, ces non-dits, ce dogme qu’on impose parfois, toutes ces choses qui accompagnent le changement radical que subit la jeune fille.
A cela s’ajoute cette « dégradation » plus ou moins visuelle au départ, ajoutant à son trouble et son angoisse, à ce moment précis la réalisatrice embrassant un discours plus ésotérique, quasiment fantastique. Le propos étant ici de souligner également l’attitude des autres, de celui de ses camarades de classe et de ses professeurs, et bien évidemment celui de ses parents.
L’image de la femme, la culture et la religion ; trois maitres mots qui régissent sa vie.
Allégorie sur le devenir, la perception de soi même et le regard des autres et de la société, TIGER STRIPES est troublant par instants, poussant ses personnages et leur faisant commettre l’irréparable.
Film parfaitement maitrisé, TIGER STRIPES nous emporte avec lui dans un tourbillon de violence - difficile par moment, comme lors de la « métamorphose », une autre allégorie sur le harcèlement, imposant à notre perception d’occidentaux une requalification vers ce qu’on pourrait nommer une sorte de psychose collective.
Entre conte fantastique et réflexion sur l’obscurantisme, la réalisatrice Amanda Nell Eu dresse un portrait trouble, mais courageux, d’une jeunesse qui se cherche, éprouve de la confusion et souvent ne sait pas comment la combattre. Un excellent casting avec de vrais (et débutantes) actrices, une révélation, un film que l’on vous conseille !
TIGER STRIPES sort sur les écrans le 13 mars 2024.
Synopsis : Zaffan, 12 ans, vit dans une petite communauté rurale en Malaisie. En pleine puberté, elle réalise que son corps se transforme à une vitesse inquiétante. Ses amies se détournent d'elle alors que l'école semble sous l'emprise de forces mystérieuses. Comme un tigre harcelé et délogé de son habitat, Zaffan décide de révéler sa vraie nature, sa fureur, sa rage et sa beauté.
TIGER STRIPES (Malaisie, 1h35)
Cannes, Semaine de la Critique 2023
Casting :
Zafreen Zairizal, Deena Ezral, Piqa, Shaheisy Sam, Jun Lojong, Khairunazwan Rodzy, Fatimah Abu Baka
Technique :
Réalisation & scénario : Amanda Nell Eu
Directeur photo : Jimmy Gimferrer
Montage : Carlo Francisco Manatad
Costumière : Sharon Chin
Son : Lim Ting Li
Musique : Gabber Modus Operandi
Production : Foo Fei Ling (Ghost Grrrl Pictures), Patrick Mao Huang
(Flash Forward Entertainment), Fran Borgia (Akanga Film Asia), Juliette Lepoutre, Pierre Menahem (Still Moving), Jonas Weydemann(Weydemann Bros.), Ellen Havenith (PRPL)
& Yulia Evina Bhara (Kawan Kawan Media)
Sylvain Ménard, février 2024
Crédits photos : © Still Moving / Jour2Fête