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RÉALISÉ PAR AGNIIA GALDANOVA, ’QUEENDOM’, ENTRE PROVOCATION ET RÉVOLTE, SORT LE 1er JANVIER 2025

28 décembre 2024 - 17:00
Personnage exhibitionniste et provocateur, l’artiste Drag Queen Gennadiy, dans son rejet de la société et son refus de cette normalité imposée, nous invite à partager sa vie dans ce pays si peu enclin à accepter la différence, la Russie ; et dans sa démarche en tant qu’être humain et artiste, se met volontairement en péril dans son besoin d’exister !
Artiste qui ose les mises en scènes fantasmagoriques, jouant d’une fusion entre un art moderne voire avant-gardiste, et (curieusement) un art plus ‘animal’, viscéral et instinctif, il tente de vivre et de s’épanouir au travers de ses performances, de ses créations. Relayé par les réseaux sociaux qui donnent la possibilité à tout un chacun de communiquer, il cherche sa voie.
Mais est-ce que cette communication au-delà de la liberté qu’elle propose n’est pas en soi, une duperie dans le sens où le virtuel et le réel sont des choses totalement opposées ? C’est ici que la liberté de chacun prend tout son sens, tant humain que philosophique, tant esthétique qu’artisitique ! Mais l’un n’est pas l’autre, être ‘artistique’ ne signifie pas nécessairement être ’esthétique’, tandis que l’esthétisme ne renvoie pas à la culture…
Perdu dans ses extrêmes, le personnage rêvé de Gennadiy, Gena Marvin, nous emmène avec ‘QUEENDOM ‘ dans un voyage sombre et irrémédiable, dans un tumulte d’indécision et de crainte.
En permanence dans l’opposition et dans la contestation, le personnage central inclassable et profondément meurtri, Gennadiy, donne l’impression de ne même pas arriver à vivre. Et c’est tout naturellement que la caméra de la réalisatrice lui offre une autre façon d’être, un contrepoint, en l’accompagnant et en lui offrant une possibilité de se projeter, comme avec ses scènes fantasmagoriques, où il se fait filmer dans des monticules de sable ou comme lorsque intégralement recouvert de boue, il rampe sur une plage avec en toile de fond la mer et le ciel, l’infini, seulement accompagné par les cordes d’un violon ; moments magnifiques et infiniment artistiques. Mais est-ce que tout se résume à cela ?
La révélation semble venir quand il est choisit pour un shooting et qu’il va défiler pour un couturier assumant sa différence et son souhait de véhiculer une certaine image. Il devient ainsi ‘Performer’ aux yeux des autres et autrement que par le bais des réseaux sociaux.
Et c’est également là que film devient passionnant, parce qu’il démontre avec une grande acuité que la frontière entre le réel et le virtuel se confond ; que les réseaux sociaux et ce que nous offre la vie (dans le monde réel) entretiennent des frontières poreuses, particulièrement aisées à franchir et complexes à comprendre ou à intégrer. Il y a ainsi dans la démarche de Gennadiy, un trouble évident entre ce qu’il souhaite être, le fait qu’il se définisse dans l’immédiat comme non binaire ; et à côté, cette ‘volonté’ artistique qui paraît le définir, justifiant ses ‘toilettes’, sa démarche, sa prestance souvent exagérée et outrancière, perché sur ses talons d’une bonne trentaine de centimètres !
Et la question qu’on se pose, est bien la suivante : est-ce que le mouvement artistique devient caution pour justifier le fait de s’habiller différemment ; et est-ce que la volonté d’interpeller et de choquer ne devient-elle pas plus forte ? Invités à observer quelques scènes de la vie de tous les jours ; dans le parc, aux environs du stade, dans le supermarché ; il nous paraît jouer d’une surenchère - qui avouons-le pourrait lui coûter cher dans ce pays qu’est la Russie - même si curieusement les réactions des forces de l’ordre ne sont pas d’emblée exagérée… Non, ce sont plus des mots ‘attrapés’ à la volée, des insultes qui proviennent de passants, qui nous interpellent.
L’autre question est bien sur la nature de son activité ! Un artiste Drag Queen doit-il être choquant par définition ou paraître choquant, encore plus dans la vie courante ? Et est-ce que le fait de se scotcher les jambes en rouge pour ressembler à un grand drapeau blanc, rouge et bleu, une image qui éventuellement peut choquer de jeunes enfants, est légitime dans tel ou tel contexte. Et non pas parce les couleurs sont celles du drapeau russe, mais plus parce qu'il ne porte quasiment rien sur lui dans ces cas là.
C’est cette confusion qu’il entretient qui pose question - et à ce titre la scène finale alors qu’il devrait se sentir libre et qu’il déambule, sorte de démon rouge perdu dans les rues de Paris - la vision de son visage ruisselant de larmes, est presque trop forte, symbolique d’un manque irrémédiable où d’un message à faire passer… la perte des siens, la perte de son identité, son exil volontaire ?
Une façon alors de souligner l’insatiable quête de Gena Marvin (Gennadiy), insatisfait, désespéré…
Finalement le métrage réussi à introduire le propos dans une dimension sociétale, et surtout philosophique : le droit à être ; le droit d’être différent. Gennadiy est en même temps, Drag Queen, Performer, Artiste et personne qui se cherche ! Un mélange explosif dans cette Russie moderne, une mise en danger permanente, qui va bien au-delà de sa revendication à être non binaire.
Synopsis : Gena, artiste queer incomparable, bouscule les codes grâce à des tenues vestimentaires venues d’un autre monde, le sien. Cet artiste se promène dans les rues de Moscou et fait face à ses pantins autoritaires. Ses performances radicales ne laissent personne indifférent. Dans un pays où la démocratie est en danger, où le rejet de l’autre devient la normalité, où la peur nourrit les discours haineux, Gena n’abandonne jamais la lutte et continue de clamer, à sa façon, le droit à la différence.
Sylvain Ménard, décembre 2024