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Le travail d’orchestrateur : Entretien avec Tim Simonec

11 janvier 2025 - 11:00
Alors que je relisais l’excellent entretien qu’a eu notre ami David-Emmanuel avec le chef d’orchestre, arrangeur et orchestrateur Gavin Greenaway (l’article est ici), il m’est venu l’idée de partager avec vous celui que j’avais eu courant 2015 avec Tim Simonec, orchestrateur bien connu, et qui avait eu l’immense gentillesse de m’accorder de son temps (précieux) pour répondre à quelques questions.
Voici donc le court entretien dédié à cette personnalité incontournable de la musique et du cinéma (si Rogue One brille autant c’est sans doute en partie grâce à lui), personnalité d’une gentillesse inouïe, et disponible (ce qui se fait étrangement rare ces derniers temps… malheureusement).
Il débute comme orchestrateur pour Graeme Revell en 1991, puis dès 1996 travaillera avec Chris Tyng sur la série TV Futurama, Kazaam et l'Associé. Depuis 1997, Tim a entamé un longue collaboration avec Michael Giacchino en tant qu'orchestrateur et arrangeur mais aussi Chef d'orchestre. Au fil des ans leurs projets ont débordés sur des sujets aussi vastes que les excellents scores pour les jeux vidéos Call Of Duty ou Medal Of Honor, des séries TV comme Lost et de nombreux films, notamment pour Pixar tels The Incredible, Up ou bien encore Ratatouille, sans oublier Mission Impossible Protocole Fantôme, Star Trek, John Carter De Mars, Rogue One, War for the Planet of the Ape, Zootopia, Dr. Strange…
Tim a grandi à Chicago et a commencé à jouer de l'orgue et du piano vers 8 ans devenant à l'âge de 12 ans l'organiste de son église. Durant ses année de collège il s'est frotté à l'orchestration en amateur, commençant dès lors à envisager la musique comme sa future voie.
Peu après son arrivée à Los Angeles en 1979, Tim Simonec est embauché pour composer sur des séries, travail qu'il mènera jusqu'en 1984, mais le destin va le rattraper alors qu'on va lui diagnostiquer une tumeur à la moelle épinière. L'opération qui en découlera va le rendre tétraplégique et ce n'est qu'au prix d'efforts immenses et de volonté, épaulé par son épouse, qu'il recommencera à marcher et même à récupérer partiellement l'usage de ses mains, l'autorisant à diriger à nouveau…
Un grand monsieur vous dis-je !
Un orchestrateur apporte t-il une vision différente ou complémentaire au travail du compositeur ?
Tim Simonec : C'est le travail de l'orchestrateur de rendre la musique aussi bonne et interprétable que possible. Son rôle est définitivement complémentaire, les ajouts et les touches subtiles ayant pour but d'améliorer la musique sans pour autant s’éloigner des intentions originales du compositeur.
Comment planifiez vous vos interventions avec le compositeur ?
Tim Simonec : Michael Giacchino m'envoie un fichier au format MP3 du morceau que je dois orchestrer. Il me transmet également une ébauche des grandes familles d'instrument : les percussions, les cuivres et les cordes. Les échéances sont si courtes sur la plupart des films que nous n'avons pas l'occasion de nous voir face a face. Tout le travail se fait par ordinateur interposés via dropbox. Je reçois les esquisses et les fichiers Mp3 via dropbox et, une fois le travail terminé, je transmets les orchestrations finales au copiste par le même système.
Comment sont planifiées les sessions d'enregistrement, avez-vous une certaine liberté ou êtes-vous contraint par le budget ?
Tim Simonec : En fonction du film, le budget détermine la taille de votre orchestre. Quand il s'agit d’un film Pixar, ou réalisé par J.J. Abrams, ou bien pour Brad Bird, Michael Giacchino a pratiquement toute latitude pour obtenir l'orchestre qu'il souhaite. Avec d'autres compositeurs pour qui j'orchestre, ce n'est pas toujours le cas. Les cessions d’enregistrement sont placées aussi prêt que possible de la date du mixage final. Les cessions d'enregistrement d'un orchestre plus important peuvent être planifiées 1 mois ou 2 avant la date du mixage final.
Fait-on beaucoup de changements le jour de l'enregistrement ?
Tim Simonec : Il peut y en avoir plus d'un lorsque le metteur en scène découvre la musique pour la première fois. Ce sont en règle générale des changements subtils de couleur ou de texture et le plus souvent de nuances.
Quand je travaille avec Michael Giacchino, il a une idée très précise du tempo et des structures élémentaires de l'orchestration. J'ai la liberté, grâce a la confiance qu'il m'accorde en rapport avec notre longue collaboration, d'ajouter de subtils changements de couleurs, de tonalité. Il lui arrive de me demander d'ajouter du mouvement dans les cordes pour éviter qu'ils soient trop statiques. Plus d'une fois il me demandera de doubler les passages de cordes ou de cuivres avec les vents. Parfois encore il me confie la distribution des accords de la section grave des cuivres.
Pensez-vous que les orchestrateurs ont de nos jours la reconnaissance qu'ils méritent ?
Tim Simonec : On pourrait en faire tout un livre ! Un orchestrateur a toujours été et restera toujours dans l'ombre. Comme je l'ai dit précédemment, le rôle de l'orchestrateur est de donner une bonne image du compositeur. Dans le meilleur des cas il s'agit d'un compositeur qui travaille pour un autre compositeur. Tout orchestrateur peut composer et pourtant tous les compositeurs n'orchestrent pas. Les meilleurs d'entre nous, comme John Williams, James Horner, Michael Giacchino ou Alexandre Desplat ont tous d'extraordinaires capacités d'orchestrateurs. Ils font appel aux orchestrateurs car ils y sont contraints par les délais uniquement. Cela ne veut pas dire que ces derniers ne sont pas capables d'ajouter de très belles et subtiles touches sur une musique déjà formidablement bien composée. C'est la joie du métier d'orchestrateur. Se rajoute à cela l'immense plaisir de travailler avec quelques-uns des meilleurs musiciens du monde semaine après semaine, c'est un immense privilège qu'il ne faut jamais prendre pour argent comptant. Je ne le fais pas.
Pouvez-vous nous citer en guise de conclusion quelques-uns de vos meilleurs souvenirs ?
Tim Simonec : …mes plus beaux souvenirs d'orchestration ?
Je vais vous en citer certains…
La scène finale de Super 8.
La première fois où l'on aperçoit le vaisseau Enterprise dans le premier Star Trek.
La scène dans Ratatouille ou l'on voit le rat cuisiner le plat du critique culinaire. Ce fut particulièrement réjouissant car Michael m'avait demandé d'ajouter quelques touches à la Gershwin à une composition déjà brillante.
Les arrangements du générique de fin de Ratatouille. Michael m'a confié tous les thèmes principaux et m'a demandé d'arranger chacun d'eux façon jazz. C'est toujours un de mes préférés.
J'ai vécu une expérience tout aussi formidable avec le film UP ! Pour le générique de fin, on m'a demandé des arrangements plus particuliers sur les formidables thèmes musicaux du film.
Sylvain Ménard, janvier 2025
Vous pouvez retrouver cette interview dans l’ouvrage ‘SYMPHONIES FANTASTIQUES, MUSIQUES DE FILMS FANTASTIQUES ET DE SCIENCE-FICTION’, paru en 2016 chez Camion Blanc.
http://www.camionblanc.com/detail-livre-symphonies-fantastiques-musiques-de-films-fantastiques-et-de-science-fiction-721.php
Crédit photo : collection personnelle de Tim Simonec