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‘LE PION DU GÉNÉRAL’, du réalisateur indonésien Makbul Mubarak, est un thriller étonnant qui sera sur les écrans mercredi 21 février

16 février 2024 - 14:00
Remarquablement porté par ses deux acteurs principaux, le tout jeune Kevin Ardilova et le vieux routier du cinéma indonésien, Arswendy Bening Swara ; ‘LE PION DU GÉNÉRAL’ est une œuvre étonnamment mature et profonde, encore plus quand on la sait être le premier long-métrage d'un réalisateur de tout juste 34 ans.
Subtilement parsemé d’ombres qui apparaissent en mi-teintes avant de prendre une importance primordiale, soulignant la soif d’absolu et de pouvoir du ‘Général’, le métrage se veut une critique de l’Indonésie, de sa société et ses travers.
LE PION DU GÉNÉRAL nous parle de loyauté, de pouvoir et d’honneur. Mais sous cette facette se cache le vrai sujet du film ; peut-on être ‘digne’, dès lors que nos actes, ou l’absence de réactivité par rapport à des situations dramatiques, nous conduit à perdre ce qui fait notre honorabilité.
Et au delà de cette apparente critique se cache une dénonciation du narcissisme et de l’aveuglement de ceux qui servilement acquièscent à tout, sans se poser de questions et qui au final deviennent autant coupables que ceux à qui ils obéissent.
Sur ce postulat qui renvoie à la dictature subie durant une trentaine d’années en Indonésie, Makbul Mubarak met en scène sa propre perception de l’histoire (celle de son père ‘serviteur’ de l’état durant ces années) et nous livre un film profond et subtil, où la photographie s’amuse à jouer les voyeurs, quand elle ne se livre pas à une observation très poussée du Général et du jeune homme. Cette introspection nous amène peu à peu à découvrir un personnage sombre, implacable et cruel, qui veille à ne laisser percevoir à aucun moment cette réelle identité ; et un personnage, jeune et plus sensible au monde qui l’entoure, qui découvrira à quoi peut mener l’intolérance et le jusqu’au-boutisme d’un homme qui ne peut vivre qu’en exercant son autorité.
Film engagé et film d’auteur, LE PION DU GÉNÉRAL est par définition tout cela, mais il est également un formidable moment de cinéma, comme souvent nous avons pu en voir en provenance d’Asie ; un film dénonciateur, mais avant toute chose un film qui sait nous parler à l’aide de sa photographie impeccable, d’un jeu d’acteurs étonnant (et jusqu’aux seconds rôles) et une mise en scène qu’on pourrait qualifier de pointilleuse.
En jouant tout en subtilité sans se complaire dans la violence visuelle, le réalisateur sous-entend toutes ces étapes de domination, qui vont des petites brimades aux mots complaisants ou offensants, en passant par la simple question, et à ce titre sa phrase, « Qui a dit que je buvais du café ? Assieds-toi », pose le Général en tant que personne violente ! Et cette violence culminera dans un moment non montré, ou le jeune Rakib n’assistant pas à cet acte, en devient malgré tout complice. Le corollaire de cette action, est qu’à ce moment du métrage, les choix qui s’offrent à Rakib deviennent clairs.
LE PION DU GÉNÉRAL nous invite à découvrir deux personnages comme rarement nous avions pu en voir, et même si le cinéma nous a proposé des jeux de domination, de cruauté et de pouvoir, peu nombreux sont les films à nous avoir montré cette ‘dépendance’, celle du dominant et celle du dominé, dans ce cadre précis. Sachant qu’à tout moment ce lien (malsain), qui nous fait alterner entre l’abus de pouvoir et la violence, la soumission et l’abandon, peut se briser… tout le talent du réalisateur consiste à nous amener à ce point de rupture, et à nous le rendre crédible en observant le moindre geste et regard des protagonistes.
C’est un film particulièrement prometteur que nous livre Makbul Mubarak, et souhaitons que l’avenir nous permette de découvrir d’autres œuvres réalisées par lui et tout aussi riches…
Soulignons que le film non content d’avoir été primé à Venise, Adélaïde, Marrakech ou encore à Singapour et Tokyo ; a été choisi pour représenter l’Indonésie aux prochains Academy Awards, dans la catégorie Oscar du Meilleur Film International 2024 !
Synopsis : Le jeune Rakib travaille comme seul employé de maison dans le manoir de Purna, un général à la retraite, aussi craint que respecté, et dont la famille est servie par celle de Rakib depuis des générations. Lorsque Purna se présente aux élections de la mairie locale, Rakib découvre un mentor et un père de substitution qu’il défendra à tout prix, jusqu’à ce qu’il soit déchiré entre la loyauté et la justice…
Sylvain Ménard, février 2024
Casting :
Rakib : Kevin Ardilova
Purna : Arswendy Bening Swara
Agus : Yusuf Mahardika
Soewito : Lukman Sardi
Trafiquant : Yudi Ahmad Tajudin
Le père de Rakib : Rukman Rosadi
Andri : Haru Sandra
Technique :
Scénario & réalisation : Makbul Mubarak
Photographie : Wojciech Staroñ PSC
Décors : Sigit D. Pratama
Montage : Carlo Francisco Manatad
Musique : Bani Haykal
Son : L. H. Aim Adinegara, Waldir Xavier, Rémi Crouzet, Jean-Guy Veran
Co-producteurs : Claire Charles-Gervais, Jeremy Chua, Malgorzata Staroñ, Armi Rae Cacanindin, Nicole Gerhards, Amerta Kusuma, Robin Moran, Pinkan Veronique, Arya Sweta, Ganesya
Production : Yulia Evina Bhara
Crédits photos : © Destiny Films, Kevin Ardilova, In Vivo Films, KawanKawan Media, Kaninga Pictures, Staron Films, Potocol, NiKo Film