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LE DIVORCE DE MES MARRANTS, un film de Romy Trajman & Anaïs Straumann-Lévy
22 juin 2022 à 09h10
Abordant un point de vue recentré autour d’une jeune femme et de sa mère, le film emprunte autant au documentaire et à l’histoire contée d’une famille, qu’à l’univers musical, univers au sein duquel l’auteur et sa mère évoluent. C’est avant tout l’histoire autour d’une discorde, d’une séparation ; mais c’est aussi et surtout une quête de soi, des raisons qui ont menées à cette rupture, de ces troubles et ces deuils qui sont nôtres.
Complexe schéma que nous sommes alors invités à observer, entre ces télescopages, ces pages sombres évoquées (la shoah), et cette lancinante question qui revient : comment en sommes-nous arrivés là ?
Tournant autour de cette rupture, le film s’attache à découvrir ce qui est lié au souvenirs et à ce qui nous fait en tant qu’êtres humains, notre mémoire, nos envies et nos besoins ; et ne peut que nous toucher dans cette mise en lumière d’une histoire familiale. La structure du film s’enrichit alors de chansons interprétées par Romy Trajman, de petits cartons qui pointent d’ici de là et comme dans une bande dessinée précisent les personnages et leur place dans la famille, car c’est bien de cela qu’il s’agit ; d’une enquête sur une partie de la famille oubliée et perdue de vue - celle de son père - une quête des origines en somme !
C’est là ou LE DIVORCE DE MES MARRANTS s’illustre avec force, entre la tendresse et la dérision (les chansons), naviguant entre les images d’archives et les moments interprétés (et donc joués), entre la fiction et le réalisme d’un film documentaire ; où l’intime côtoie les non-dits et le silence. Alors faut-il y voir comme un exorcisme, dans cette tentative de combler les blancs, d’imaginer le pourquoi de telle action et de ce que ça a pu engendrer… Probablement ! Et certainement que Romy Trajman a souhaité construire son œuvre de telle sorte qu’elle s’y retrouve avant tout, ce qui donne cette sensation de jongler entre deux univers parfois différents ; celui du documentaire et de cette vie ; et celui d’un univers plus déraisonnable, marqué par ces moment chantés, par ces instants ‘loufoques’ !
Le mot de la jeune réalisatrice…
• Bonjour Romy Trajman, alors tout d’abord une question : comment qualifier votre métrage… un film, un documentaire, un exercice un peu fou entre poésie - les chansons par exemple - et confrontation avec l’histoire, la vôtre ?
Romy Trajman : Un film « boule à facettes » (rires)…
• Entre fantaisie, drame, ruptures et pérégrinations personnelles, vous apportez un cadre nouveau et original au film documentaire. Comment avez-vous travaillé ce point de vue spécifique ?
Romy Trajman : C’était très intuitif, le film s’est fait avec peu de moyens et il nous a fallu être créatifs, agiles, jongler avec tout : écriture, chansons, tournage, entretiens, montage etc… Récemment, c’est Caroline Lahbabi, programmatrice à l’Utopia, qui parlait de film « boule à facettes » et ça me plait car l’expression donne une idée de mouvement, le film tourne, à l’image de sa fabrication.
• Comment votre mère a t-elle pris votre démarche ?
Romy Trajman : Comme quelque chose qui allait m’aider. Ma mère a compris ma nécessité et a accepté de se livrer avec générosité dans ce but. Je lui en serai reconnaissante ad vitam.
• Filmer sa famille, n’est-ce pas demander beaucoup ? Il y a le jugement de soi, mais aussi celui des autres (plus tard à la sortie)… Pas trop complexe à présenter et à « digérer » ?
Romy Trajman : A partir du moment où on fait un film, on dévoile une partie de soi. Faire un documentaire autobiographique, c’est clairement assumé. Un film sur sa famille, c’est intense et en même temps, plutôt sain. Ma nécessité première est de m’exprimer, et ce sont souvent, des rencontres ou des évidences qui me guident. Ici, cette quête familiale était un aimant, vital. Quand je pense à Virginie Despentes, Pasolini, ou Jonathan Caouette, ce sont des artistes qui m’inspirent parce qu’ils osent, percutent la bienséance et font sauter les lignes. C’est cet art-là, qui me plaît. Courageux.
• Vous apparaissez d’une grande sincérité, n’est-ce pas troublant de se livrer autant ?
Romy Trajman : Dans le flot des réseaux sociaux, mon film me paraît minime dans l’exercice (rires).
Ici, je parle de transgénérationnel, cette notion m’habite depuis longtemps, de quoi hérite-t-on ? Qu’en fait-on ? J’ai tenté de faire le film, avec sincérité, et poésie.
Tout comme le drame peut être un élan. Qui permet de transformer. Cette quête de vérité me plait dans le sens où elle est source de transformation.
• Le mot d’exorcisme a été employé, mais là on pense aussi à une forme de catharsis, un travail sur soi : était-ce l’idée de départ, de « plonger » dans ses propres racines ?
Romy Trajman : Oui. Je pense que c’est souvent cela, les premières œuvres, on joue avec nous-mêmes ; nos racines, nos limites, on va à sa rencontre pour se trouver, se heurter et se retrouver, voire changer.
• Un dernier mot. Votre sensibilité crève l’écran, et vous y donnez l’image d’une personne en quête de vérité. Vous sentez-vous un peu comme l’auteur maudit… ?
Romy Trajman : Ahahah, je crois que se montrer, tel que l’on est, est salvateur. Cette vérité m’importe dans le but de la transformer. Je ne souhaite pas vivre dans un monde de mensonges, de silences, ce que j’appelle « un monde figé ». C’est peut-être une utopie ou générationnel, mais je tente, à mon humble échelle, de tenir cet axe. J’aime l’art qui dérange, à la marge, parce qu’il nous fait bouger. Alors, faire sauter les verrous, ça fait « boum » puis on passe à autre chose. Et l’âme humaine est surprenante : plus on se dévoile, plus on change (rires).
• Merci infiniment Romy pour le temps que vous avez bien voulu accorder à CINÉMARADIO !
Romy Trajman : Merci
Synopsis : Romy a 23 ans. Elle n'a pas vu son père depuis le divorce de ses parents, il y a 10 ans. Depuis, elle vit une relation fusionnelle avec sa mère avec qui elle a un projet de comédie musicale. En pleine crise existentielle, elle décide de se rendre chez son père, bipolaire, à Bruxelles, et de mener l'enquête sur les raisons du divorce de ses parents. Cette exploration du passé va faire exploser les non-dits. Une aventure libératrice qui va mêler Shoah, secret de famille, chansons pop et désir farouche de vie !
LE DIVORCE DE MES MARRANTS (2021 - 1 h 23 min)
Film documentaire & musical
Réalisation : Anaïs Straumann-Lévy, Romy Trajman
Production : Annabella Nezri, Victor Shapiro, David Steiner, Anais Straumann-Lévy, Raphael Swann, Romy Trajman, Marie-Sophie Volkenner
Sylvain Ménard, juin 2022