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JOSEPH BISHARA : à l'occasion de la sortie de The Prodigy, retour sur un compositeur destiné à nous faire peur !!

10 mars 2019 - 14:40
A l’occasion de la sortie de The Prodigy, film d’horreur avec une musique de Joseph Bishara, c’est peut être l’occasion de revenir sur ce compositeur et son apport au film de genre.
Si le métrage The Prodigy réussit à véhiculer avec un petit budget (ce qui n’est pas un mal en soi) quelques idées convaincantes ; il s’avère un peu décevant dans le même temps, ne procurant pas les frissons auxquels tout amateur d’horreur s’attend. Si nous restons donc sur notre faim, il n’en est pas de même pour son score qui démontre une fois de plus la capacité qu’a Bishara à réussir à se remettre en question. Plus mélodique, quand bien même il use des artifices bien connus du genre, et plus orchestral au gens large, sa musique est puissante et nous emporte souvent. Mais ici, peut être un peu plus que sur d’autres scores, est-ce cette propension qu’il a à marier les effets et la construction purement musicale, qui nous offre cette surenchère de sensations.
J’ai eu l’occasion de parler par mail courant 2017 avec Joseph Bishara, qui est un homme adorable et particulièrement accessible - sur un projet d’ouvrage sur la musique de films d’horreur. C’est donc presque naturellement que cette idée d’interview est venue. C’est grâce à Sébastien Faellens (collaborateur du site Underscores) que cette interview a été réalisée, étant très à l’aise en anglais, parler et mener cet entretien était plus facile pour lui. Merci donc encore à Sébastien. L’interview qui suit est légèrement condensée ; l’intégralité sera incluse dans les ouvrages sur la musique de films d’horreur.
Joseph Bishara vous êtes né en 1970, regardiez-vous beaucoup de films d’horreur lorsque vous étiez jeune ?
Oh certainement, oui !
Les années soixante dix et quatre vingt ont été une période incroyable pour les fans de films d’horreur !
Je suis entièrement d’accord avec vous ! J’ai effectivement grandi en tant que fan d’horreur, c’était quelque chose qui m’a bercé tout jeune. C’est probablement vers les sept ou huit ans que j’ai vu Le Cabinet du Docteur Caligari, c’est l’un des premiers films d’horreur dont je me rappelle les scènes.
C’est un grand classique !
Oui, rien que les images me stupéfiaient en tant qu’enfant, je n’en avais jamais assez et je voulais juste continuer à regarder ce type de films.
Peut être avez-vous vu quelques films européens ?
Oui, je suis un vrai fan de films italiens, de Dario Argento, Lucio Fulci et d’autres dans ce genre. La structure était réellement bizarre : la différence de codes narratifs, cette imagerie liée au rêve … plus c’était fou, meilleur c’était ! Il semble que c’était ce qui me parlait le plus, visuellement. J’aime également le cinéma américain de ce type mais les productions italiennes me scotchait un peu plus, je pense. De même pour leur musique : Ennio Morricone, Pino Donaggio, Goblin, Fabio Frizzi… Tout cela m'a vraiment marqué.
Quelle est votre formation initiale ?
J’ai commencé à jouer de la trompette quand j’étais enfant - c’était mon premier instrument - j’ai appris à lire et à écrire la musique dans le même temps, tout au moins… puis j’ai continué avec la guitare et le clavier à l’école. Je suis juste allé au collège, je n’ai jamais complété ma formation initiale à l’université : J’ai juste attrapé de ci delà ce qui pouvait me servir pour communiquer, pour faire ce ce que je voulais faire, m’impliquant avec quelques groupes et faisant des tournées.
Vous avez joué effectivement avec quelques groupes de rock comme 'Prong' et d’autres groupes de musique industrielle rock.
Oui, j’ai fait pas mal de programmation et de remixes, ce genre de choses. J’ai toujours voulu faire une musique de film. L’opportunité de le faire est venu plus tard, aussi j’ai occupé mon temps à travailler en studio et à faire de la production pour des groupes, ce genre de choses.
Pour parler de votre approche personnelle, comment aimez-vous travailler sur un projet ?
Je commence dès que je le peux, ceci dépendant de l’étape de production (ou en est le film), au moment où il m’est proposé. Une fraction de moi commence le travail aussitôt que j’en entends parler, je ne peux m'en empêcher… débuter le processus comme en arrière plan, en y pensant, en écoutant les idées des uns et des autres.
Quand je lis un script, je peux commencer à écouter des choses et à écrire quelques idées ! … ou bien je règle le processus et à un tout autre moment, je peux être en train de conduire dans la rue et avoir soudain l'idée d'une instrumentation.
C'est ainsi que vous concevez les atmosphères pour ces films ?
Et bien, c'est un peu comme laisser le film me parler ; et ça peut être une réponse en terme de matériel. Par exemple pour The Conjuring 2, l'une des premières choses que j'ai « entendu » en travaillant sur le film, était le chœur masculin, tandis que James Wan me décrivait la scène. Ce que j'essaie de trouver sur ces projets c'est ce fil qui me conduit jusqu'à la fin, me guide.
Je suppose que c'est une des raisons pour laquelle votre musique paraît si intuitive. D'un autre côté, le film d'horreur a besoin de sursauts horrifiques. Comment atteignez-vous cette sorte d'efficacité ?
Je pense que même les sursauts d'effroi et d'autres moments soudains sont définitivement intuitifs et dépendent de la façon qu'on a de les amener. C'est une chose qui les rend plus ou moins efficace : un moment d'effroi n'est pas juste un moment d'effroi. Je pense que l'effroi a une portée plus grande que n'importe quel autre instant de musique, c'est juste une question de dynamique, quand et où vous allez… du presque tranquille à quelque chose de plus intense, et quelle sera sa portée, quels instruments permettront de le faire. Quelque chose qui ne marche pas pour moi, c'est à chaque fois que vous avez un gros moment d'effroi, tout les instruments sont comme jetés en vrac, ce qui est une sorte d'approche générique. Je pense que l'orchestration qui construit ces instants est aussi importante que l'orchestration des autres moments.
Est-ce que vous utilisez de temps à autre des instruments atypiques ?
Je ne pense pas qu'il y ait des instruments atypiques, ils créent juste des sonorités différentes. Ils me semblent normaux à moi, ils font partie du langage.
Sur Annabelle, vous utilisez les cordes, qui sont des instruments classiques, mais vous en usez d'une certaine façon.
La toute première chose que vous entendez sur le film est un mouvement de basse très léger, avec cette rafale de cordes et une sorte de distorsion de l'alto et du groupe des cordes. C'était comme une sorte de danse. La poupée Annabelle me parlait : c'était la première chose que j'entendais, la première chose apparaissant dans le film et actuellement la première prise que nous avons enregistré. J'ai travaillé cet effet sur papier et au crayon. L'autre clé du score de Annabelle est d'avoir utilisé l'orgue de Hammond* qui a ce son si particulier. C'est essentiellement un quatuor étendu.
(* L’orgue électromécanique Hammond a été développée dans les années 1930 par l’ingénieur Laurens Hammond)
The Vatican Tapes m'a rendu vraiment mal à l'aise, comment avez-vous travaillé avec les sons ?
Ça a été un processus rapide. Je m'y suis mis tardivement, comparé aux autres films sur lesquels je travaille. La première chose que j'ai faite et la première qu'on entend sur le film, est cette mélodie sourde au piano. Je voulais utiliser le piano et beaucoup de percussions, aussi ça a été écrit et enregistré pour une section de percussions comme des cloches. Il y avait également une section entière d'instruments plus conséquents, comme un gros marimba (de la famille des xylophones). Les morceaux pour percussions étaient écrits sur papier et enregistrés, puis assemblés plus tard au montage. Le reste était fait avec quelques solos de flûtes et des violoncelles, c'était un élément clé.
Concernant The Other Side Of The Door, je l'ai trouvé plus émouvant.
Une grande part de celui-ci est porté par la notion de perte. Les personnages tentent de s'accrocher à quelque chose qui n'est plus là et essaient d'envisager comment le ramener. L'endroit du tournage joue une part importante – il se déroule en Inde. Je ne voulais pas de façon trop apparente aller vers une instrumentation indienne, mais ceci dit, j'utilise un Sarangi, un instrument indien apparenté aux cordes et qui donne le plus de couleur. J'ai utilisé un duo de percussionnistes et leurs tambours à mains ainsi que des instruments primitifs chatoyants pour parler à l'entité qui retient l'âme de l'enfant. Les sections de cordes et de vents, sans oublier le piano, ajoutent à cette sensation de perte.
Comment avez-vous rencontré James Wan ? (réalisateur des Insidious et Conjuring)
J'ai rencontré James grâce à la communauté des réalisateurs de films d'horreur à Los Angeles. Beaucoup de gens se connaissent au sein de cette communauté. Il y a eu un moment où quelques amis mettaient en relation les gens de différentes provenance et qui faisaient des films d'horreur ensembles. Il y a eu alors une période ou les équipes au complet d'un film se retrouvaient régulièrement pour voir les métrages des uns et des autres et échanger. James et moi sommes venus de notre côté à ce cercle d'amis, il m'a demandé de l'aider sur le court métrage de comédie Doggie Heaven et alors j'ai participé à Insidious et ai continué sur les films d'horreur.
Et justement, concernant Darren Lynn Bousman, c'est un fan de musique, non ?
Nous nous sommes rencontrés par le bais du même cercle de réalisateurs de film d'horreur, alors qu'ils préparaient Repo! et étaient arrivé à ce point du procédé où il faut absolument mettre en boîte. Alors un ami à moi m'amène sur le projet un soir, nous discutons et nous commençons le jour suivant. Je n'ai pas écrit de musique j'étais plus comme un producteur musical. Repo était finalement un projet énorme, il était très ambitieux et il y avait quantité de musique dans le film.
Est-ce que l'édition musicale vous intéresse ?
J'essaie d'apporter ma touche personnelle autant de fois que je peux. Quelquefois ça devient dingue à cause des nouvelles versions du film, aussi je dois enregistrer à nouveau car ça doit être refait. J'ai trouvé des monteurs avec qui je travaille et en qui j'ai confiance,. Je veux pouvoir entendre pourquoi telle partie a été retirée et pouvoir revenir en arrière, parce j'essaie de composer sur le film au plus près, étant opposé à la ré-écriture des scènes. Très souvent, quand il s'agit d'un petit film sans monteur sonore, je suis dans le studio, éditant et montant la musique moi même. Donc, je suis très intéressé par cette facette-ci !
Ainsi qu'en jouant certains personnages effrayants ?
Oui (rires) ça a commencé avec Insidious et tout est parti de là. Je me suis fait un certain nombre d'amis qui sont maquilleurs depuis des années et j'ai toujours été à l'aise pour ne pas bouger… accepter de jouer avec des prothèses… me laisser maquiller ! J'avais déjà rasé ma tête et quand James Wan m'a demandé de jouer ce personnage ça ne posait aucun soucis… et je continue à le faire tout le temps. J'ai un infini respect pour les artistes qui créent ces choses. Je pense que la plupart des fans de films d'horreur qui ont grandi en regardant ces métrages les identifient également en fonction des maquillages.
Avez-vous l'habitude de garder quelques souvenirs ?
Je garde un petit quelque chose de chaque film, comme un morceau de la prothèse du démon du premier Insidious. J'essaie de le faire à chaque fois que c'est possible.
Sylvain Ménard, mars 2019.
Pour plus d’informations sur le genre fantastique, vous pouvez vous tourner vers les ouvrage parus chez Camion Blanc :
Musiques de films fantastiques et de science-fiction
http://www.camionblanc.com/detail-livre-symphonies-fantastiques-musiques-de-films-fantastiques-et-de-science-fiction-721.php
Musiques de films fantastiques et de science-fiction. Les compositeurs (de A à M)
http://www.camionblanc.com/detail-livre-musiques-de-films-fantastiques-et-de-science-fiction-les-compositeurs-de-a-a-m-997.php
Musiques de films fantastiques et de science-fiction. Les compositeurs (de N à Z)
http://www.camionblanc.com/detail-livre-musiques-de-films-fantastiques-et-de-science-fiction-les-compositeurs-de-n-a-z-998.php