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Interviewer un compositeur : le bonheur d’avoir réalisé un bel entretien, et à contrario un parcours du combattant… face à des obstacles parfois insurmontables !

25 janvier 2025 - 12:02
Pourquoi utiliser ce terme de parcours du combattant ? Interviewer un compositeur dans son propre pays reste somme toute assez aisé ; la plupart sont prolixes sur leur art, engagés et prêts à se confier. Ajoutons à cela que ce sont d’agréables personnes, souvent enclines à continuer l’entretien autour d’un bon repas… et quoi de plus agréable… !? Mais de plus en plus souvent, interviewer un compositeur à l’étranger, relève de facto du parcours du combattant. C’est la complexité du métier que nous pratiquons.
Quels problèmes ?…
Nous aurions pu user d’une formule plus ‘littéraire’, comme : « De la difficulté d’interviewer un compositeur, ou « Comment j’en suis arrivé à craindre le pire à chaque demande » (un peu long me direz-vous !).
Mais aujourd’hui - et sans faire de raccourcis avec le monde qui nous entoure - les gens deviennent frileux, voire craintifs et indisponibles.
Prenons le cas de Kraft-Engel Management situé à Los Angeles, et ne perdez pas de vue qu’aujourd’hui les distances ‘sont moindres’. Sur de nombreuses demandes faites par mail, soit sur le site du (ou des…) compositeur (s) avec le renvoi par la page ‘contact’, soit en direct sur le site Kraft-Engel et par le biais d’une adresse qui fonctionne ; 0% de réussite en prise de contact.
Quand à les appeler… n’oubliez pas que vous vous trouvez à des milliers de kilomètres avec un décalage horaire !
Un autre cas d’agence peu serviable, est bien celui de Whitebear. Aussi peu enclins à répondre qu’à réussir à ‘motiver’ leur client. Nous vous épargnerons les noms d’artistes, et le temps passé à essayer de les convaincre d’accorder une interview.
Mais de plus en plus souvent, ils ne prennent pas la peine de répondre.
Le portrait brossé peut sembler bien « sombre », mais il est réel ; et ce même si nombre de compositeurs répondent eux-mêmes.
Récemment avec la sortie de The Acolyte, nous avons été contactés par l’agent de Michael Abels (Costa Communications) - et souvenez-vous comment nous avions été emballés par son score… !
Ravis de l’aubaine, nous avons répondu, et quelle n’a pas été notre surprise de constater que malgré nos relances, finalement nous n’obtenions aucune interview…
Et c’est un phénomène de plus en plus répandu, on en vient à se demander, si les agents d’artistes ne trient pas en fonction des nationalités, européen vs américains…
Qu’en savons-nous ? ‘Rien’ me direz-vous, et vous auriez tort, car ‘in finé’, pas d’interview visible chez nous ; et trois entretiens accordés à des médias américains : Musictech (assez long), Screenrant (un entretien très bien fait) ou sur Motion Picture Association (un peu moins long pour ce dernier)…
Ça vous choque ?… imaginez alors notre réaction.
Nous pouvons vous confirmer qu’à part réussir à converser en direct avec le compositeur, les agents font barrages !
Un Constat…
Le milieu de la composition de musique de films se plaint de son manque de visibilité, mais ne reconnait pas qu’il y un énorme problème en interne, du fait des agents, de leur compétence et leur empathie. Un agent doit ‘représenter’ et ‘donner l’information’ à son client, le compositeur donc, et faire en sorte qu’au delà du sujet, - une interview c’est une interview, un entretien également… - il y a la possibilité pour le compositeur de parler de son travail et peut être de pouvoir toucher un public plus large.
Les réseaux sociaux n’arrangeant rien à l’affaire, les agents ne font pas (ou très mal) leur travail qui reste de représenter l’auteur.
Même en France, nous avons personnellement eu une expérience malheureuse avec l’agent d’un certain compositeur français très connu ! Agent ayant assuré à l’époque que son client ne faisait pas de pub (ce que techniquement l’interview devient par extension) alors même qu’il avait officié sur le plus réputé des festivals, regrettant le manque de visibilité que l’on offrait à son métier !… curieux, non ?
C’est vrai qu’il reste les festivals ; les représentants, agents et autres sont assez ‘partants’, ‘enthousiastes’ dirons-nous. Mais se pose malgré tout le problème des déplacements, ce n’est pas toujours facile d’obtenir une accréditation, ni facile de négocier du temps… et on ne parle pas de l’argent nécessaire afin de couvrir les frais.
Se pose alors la redoutable question du ‘professionnel’ et de ‘l’amateur’ ! Professionnel c’est votre métier - vous êtes couvert et rémunéré -, et en tant qu’amateur (souvent plus disponible et compétent) c’est un autre discours. Et la vision que le monde musical peut avoir de vous, est différente en fonction de votre statut.
Et oui, vous pouvez être indépendants, bénévoles, amateurs éclairés et dans certains cas vous en avez fait votre métier (votre serviteur - et après quatre ouvrages publiés sur le genre, des centaines de chroniques et des dizaines d’interviews, « on s’estime professionnel »). Certains confrères vous diront qu’ils n’ont jamais eu de problème, chose que nous ne contestons pas. Ce que nous soulignons c’est bien la complexité de plus en plus marquée, cette quasi impossibilité parfois d’obtenir des entretiens ; si ce n’est au bout de plusieurs mois, dans le meilleur des cas.
En parallèle - et c’est tant mieux - nous avons la chance d’avoir des labels comme 22D Music qui s’empressent de nous contacter, nous fournissent les liens d’écoute si besoin, préparant le terrain et étant extrêmement disponibles afin de nous faciliter la tache - merci à eux ! Il y a également quelques agents, en Belgique notamment, très professionnels et à l’écoute, des compagnies comme Strike A Score qui s’empressent de communiquer.
Tout n’est pas mauvais, loin de là, mais il faut reconnaître en ce qui concerne les compositeurs très connus et représentés par des agences historiques (ou bien à l’inverse pour certaines d’entre-elles peu connues), que prendre contact relève de l’impossible trop fréquemment.
La satisfaction d’avoir fait une belle interview…
A contrario des personnalités - et pour le plaisir citons-le - comme Mr Vladimir Cosma, sont d’un abord très facile, vous reçoivent chez elles et vous accorde le temps qu’il vous faut. Ce sont des personnes comme elle, qui rendent notre vie de critique musical ou de chroniqueur, bien plus facile… des compositeurs comme : Jérôme Lemonnier, Erwann Chandon, Jérôme Rebotier, Eric Demarsan, Anne-Sophie Versnaeyen, Florencia Di Concilio, Armand Amar, Philippe Jakko, Olivier Derivière, ou encore ROB, Olivier Daviaud, Guillaume Poyet, Jean-Michel Blais, Romaric laurence, Amine Bouhafa, Cyril Morin ; ou des anglais comme Dominik Scherrer, Alex Baranowski, Reza Safinia, et encore Marco Werba, Peter Baert, ou notre française Isabelle Durin dans un registre quelque peu différent !
Un peu long à citer (et nous en avons sûrement oublié), mais il est bon de nommer celles et ceux qui prennent du temps pour se raconter, pour répondre à nos questions.
Admettons que la crise soit passée par là, et que la pandémie ait sérieusement et durablement ‘impacté’ la capacité des uns et des autres à entretenir des ‘relations humaines’ ! Et admettons aussi que de plus en plus, on ‘campe sur ses positions’, refusant de sortir de sa zone de confort - pour certains c’est le syndrome de la ‘tour d’argent’… ils ne veulent, ni ne peuvent se confronter au monde.
Des cas assez rares pour être soulignés…
Pour un ouvrage en cours d’écriture sur les adaptations des œuvres de Stephen King ; un ouvrage qui doit tenir compte de l’actualité des sorties, cinéma ou plateformes ; plus de trente compositeurs ont répondu, soit plus de trente entretiens, avec pour certains des pages et des pages… tandis que d’autres sont plus ‘concis’…
Un ouvrage sur le cinéma et la musique où la parole du compositeur et de l’orchestrateur (oui, aussi) prendront peut être un tiers du volume !
Il s’agit d’un énorme travail qui aurait été impossible sans l’apport d’une somme d’informations conséquente obtenue grâce à des gens géniaux, ouverts et prêts à se confier, prêts à répondre à nouveau, en fonction d’une actualité, des fois simplement pour une question relative à l’utilisation d’un instrument, pour comprendre un problème technique… et que demander de plus ?
Il faut souligner que tout cela prend énormément de temps ; toutes ces démarches et ces demandes, suivies d’échanges, puis de la concrétisation des entretiens avec leur traductions.
Et je vois des collègues travailler avec acharnement sur leur interview, et que ce soit pour couvrir une actualité avec des metteurs en scènes ou des acteurs (trices), et bien évidemment des compositeurs (trices).
C’est la réalité de ce métier, préparer son ‘terrain’, lire ce qu’on peut trouver et qui aurait pu être dit sur le sujet, chercher sur les sites les informations (IMDB, Wikipedia…), les comparer pour être sûr de ne pas commettre d’erreur, et enfin essayer d’être original !
En conclusion
C’est un métier complexe et exigeant, basé sur les échanges et la réciprocité, sur le respect et l’écoute.
Le critique musical est souvent animé par la passion, ce qui en ferait (parfois) un interlocuteur un peu ‘empressé’… ce qui manque au compositeur (parfois) c’est la patience.
Aussi merci à ces compositrices et compositeurs qui nous répondent en direct et restent joignables, ravis de parler d’une expérience, même passée, heureux d’échanger avec des personnes aussi passionnées qu’elles, en se prêtant au jeu des Questions & Réponses.
Sylvain Ménard, janvier 2025
Crédits photos, Sylvain Ménard