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Interview "POISSON ROUGE" : Hugo Bachelet, Clément Vallos & Matthieu Yakovleff se sont confiés à Cinémaradio

27 septembre 2023 - 15:00
Faire une interview renvoie à ces instants de partage où les uns et les autres se livrent, n’hésitant pas à rentrer dans l’intime parfois ; et ici sur ce sujet profond, nous avons eu la chance d’avoir cet entretien à distance avec les trois réalisateurs Hugo Bachelet, Clément Vallos et Matthieu Yakovleff…
C’est donc sous la forme de ce fameux Q&R (Questions & Réponses) que vous connaissez bien, que nous vous livrons cet entretien… à quatre finalement, votre serviteur et les trois réalisateurs… car c’est vrai, quand on peut en avoir trois pour le prix d’un, pourquoi ne pas en profiter ? D’accord, avouons que ce sera un peu transparent pour vous, mais rien de surprenant finalement, puisqu’il s’agit d’un film pensé et réalisé à trois, quoi de plus normal que les réponses soient collégiales !
POISSON ROUGE : L’INTERVIEW DE CINEMARADIO
• Bonjour à vous trois, et merci d’avoir bien voulu répondre à cette interview pour Cinémaradio. Votre film POISSON ROUGE, est sorti sur les écrans le 27 septembre. Pourquoi ce sujet aussi sensible (l’Alhzeimer), n’aviez-vous pas peur d’un retour négatif avec un film clairement engagé ?
Le sujet central du film n’est pas Alzheimer, mais l’amitié. Comment cette dernière est mise à l’épreuve par la maladie, son importance pour les personnes malades et leur entourage, parce qu’une fois pris dans un tourbillon médical qu’on ne maitrise pas, l’amitié est souvent la dernière chose à laquelle on peut s’attacher. Le sujet de la perte de mémoire nous a toujours touchés et constitue une pathologie dans laquelle tout le monde peut se projeter. Pour autant, nous n’identifions jamais la maladie de notre personnage comme étant Alzheimer. C’est une maladie provoquant une perte de mémoire progressive. Ne pas lui donner de nom nous a permis de prendre quelques libertés avec la maladie (notamment sa vitesse de développement), mais chaque décision a été validée par un neurologue afin de rester crédible et respectueux. Cette crédibilité de la représentation de la maladie nous rassure un peu quant aux potentiels retours négatifs. Pour le moment, le film a été vu par des médecins, des malades, des accompagnants et nous n’avons eu que des retours positifs.
• Vous optez pour une approche plus légère, moins encline à s’appesantir sur le drame (qui reste très présent ceci dit), c’est un exercice périlleux pour les acteurs ?… ne pas surjouer, rester ‘humble’, sans exagération ?
Pouvoir aborder des sujets profonds et sensibles sur une tonalité plus légère était une vraie volonté dans la création de ce film. C’était déjà le travail amorcé par la compagnie Les AutreS (les comédiens principaux) dans ses spectacles, mis en scène par Matthieu. Nous avions entière confiance dans l’humour et le comique des 4. C’est pourquoi nous avons voulu les pousser dans des situations plus complexes afin de créer une émotion générale sur le fil, oscillant entre le rire et les larmes. La force de notre collectif a résidé dans le fait que tout le monde se connaissant bien depuis longtemps, il n’y avait aucune guerre d’égos sur le plateau. Chacun·(e) d’entre nous voulait servir le projet au maximum, sans chercher à se mettre en avant.
• En fait, vous avez réussi à ne pas caricaturer vos personnages. C’est complexe de ne pas faire un film qui paraisse froid, surtout quand il prend l’apparence d’un road-movie, une échappée entre copains… mais avec quoi au bout ?
Le film commence vraiment comme un buddy movie, on rejoint cette bande de pote qui a envie de faire la fête un week-end sans se prendre la tête. Mais Guillaume réalise qu'il a mieux à faire de ses derniers moments de liberté, et le film prend progressivement une autre couleur, plus nuancée et plus dramatique. Il était important pour nous que les personnages ne perdent jamais l'identité qui a fait leur groupe depuis l'adolescence, c'est à dire la capacité de dédramatiser une situation par la vanne, de se supporter les uns les autres dans les moments difficiles. Le film reste une comédie, on ne voulait pas tomber dans le pathos pur. Mais si en plus de faire rire les spectateurs on arrive à leur serrer le ‘bide’, alors c'est qu'on a réussi à les embarquer avec nos personnages.
• Vous parlez de la mort - dans ce qu’elle a de plus débilitant - une mort qui survient sans que la personne ne le soit réellement… Avec la perte de ce qui définit l’humain, de sa mémoire, de ses souvenirs avec ses amis, de son identité ! … et ici c’est le début. Jouer un tel rôle est dur à tous les niveaux. Comment avez-vous travaillé cette facette précise, plus par le biais du script, de la concertation et du partage avec les acteurs, chacun avait une idée ?
Si on évoque la mort de Guillaume a plusieurs reprises, on a plutôt parlé de disparition entre nous. Et de savoir comment chacun·(e) pouvait réagir face à cette dernière. Nous avons construit les personnages en concertation avec les comédiens en amont du tournage. Pour Guillaume c’était finalement assez simple à jouer puisque plus sa maladie progresse plus il devient imperméable aux émotions. Ce qu’il nous a fallu doser c’est les réactions que l’ombre de la maladie vient créer chez ses proches. Pour cela nous avons échangé avec les comédiens durant plusieurs séances de travail, pour trouver ensemble leurs intentions. Nous avons en plus fait le choix d’une scène plus onirique en décalage avec le reste de notre réalisation à un moment crucial de notre histoire. Cette séquence métaphorique condense toute l’anxiété de Guillaume.
• Finalement le film apparaît comme une histoire douce-amère, où vous décidez de ne pas trop vous appesantir sur les évidences, tout en nous montrant le chagrin des amis et dans le même temps leur courage afin d’essayer de donner le change. C’est également une histoire d’équilibre entre une forme de résilience et l’acceptation de l’inéluctable ?
Dès l’écriture, nous savions que nous ne voulions pas aller dans le pathos en faisant pleurer nos personnages sous la pluie sur fond de musique triste. Beaucoup de films l’ont déjà très bien fait et ce n’est pas la direction que nous voulions prendre. Faire face à la maladie, c’est évidemment pleurer et souffrir, mais c’est aussi changer de point de vue sur la vie, faire le tri, se découvrir de nouvelles priorités et se concentrer sur ce qui est vraiment important. C’est lorsqu’il comprend qu’il est condamné que notre héros décide de prendre sa vie en main. Il était très important pour nous de montrer la beauté de cette démarche et de tout ce qu’elle apporte de positif à notre personnage. Si cela n'enlève rien à la dure finalité de la maladie, cela permet de mieux profiter du temps qu’il nous reste. Nous voulions rester sur ce fil, entre le drame de la maladie et la beauté de l’amitié qui lie nos personnages, entre un voyage plein d’énergie de vie et sa triste finalité.
• C’est une production qui a été compliquée à boucler ? Entre le financement, trouver les acteurs, le distributeur, c’est toujours un parcours du combattant et encore plus avec un sujet tel que celui-ci.
Étonnamment, ce projet s'est monté très rapidement car en quelques mois seulement on a écrit, préparé et tourné le film, avec le soutien d'une équipe incroyable. En totale auto-production. Jamais on aurait pu travailler si vite dans le circuit classique, le film n'aurait d'ailleurs sûrement pas vu le jour. Qui aurait pris le risque de financer un scénario sans dialogues ? C'est la suite qui a été très longue et compliquée, personne ne nous attendait. Et le COVID ayant décalé la sortie de nombreux longs-métrages, les distributeurs étaient frileux à l'idée de s'engager sur un film comme le nôtre.
Heureusement, l'équipe de Destiny Films a eu un vrai coup de coeur, et ils ont fait le pari de le sortir. C'est une vraie prise de risque car nous n'avons même pas l'agrément de production du CNC qui pourrait leur permettre de bénéficier de subventions automatiques comme c'est le cas pour les autres films français.
• Y a-t-il une certaine impatience à l’approche de la sortie ? Peut-être l’inquiétude liée à la réception du film et comment le public sera touché par le sujet ?
Montrer son travail à un public provoque toujours un mélange de crainte et d’excitation. Les gens vont- ils aimer ?
A-t-on fait les choses correctement ? Et puis nous avons tellement travaillé le film que nous n’en voyons plus que les défauts et on est vite persuadé que les spectateurs ne verront que ça. Les quelques projections que nous avons organisées nous ont rassurés : les gens ont très bien reçu le film et on espère qu’il en sera de même pour le grand public. Il y aura des déçus, c’est normal, on espère juste que malgré ses défauts, personne ne doutera de la sincérité du film, de son sujet et des gens qui ont travaillé dessus.
• Après cette aventure, quels sont vos projets ?
L’aventure Poisson Rouge a démarré il y a maintenant un peu plus de 4 ans. Au delà du plaisir d’aboutir la réalisation de ce film et de le voir sortir au cinéma, nous retenons l’énergie folle de toutes les personnes qui se sont investies pour que cette production existe. Cette addition de bonnes volontés dont nous avons bénéficié est une force qui nous porte encore maintenant. Depuis que nous pouvons présenté notre long métrage aux professionnels, de nouvelles portes s’ouvrent grâce à l’intérêt suscité par notre autoproduction. Nous avons donc de nouveaux projets avec notre société Couac Productions, pour lesquels nous faisons en sorte d’avancer avec l’équipe qui a fait Poisson Rouge. Il s’agit d’émissions musicales et de documentaires pour la télévision, avec cette fois le soutien du CNC. Nous parlons régulièrement en souriant d’une nouvelle fiction pour repartir faire des bêtises avec toute la troupe. Sûrement pas dans les mêmes conditions de prod' qui sont épuisantes, mais en pouvant rappeler une bonne partie de ces belles personnes. Poisson Rouge n’est qu’un début et maintenant qu’on a goûté à la création collective, on va avoir du mal à s’arrêter.
Merci à tous les trois pour cet entretien…
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Sylvain Ménard, septembre 2023