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Interview exclusive de Dominik Scherrer pour le score du Serpent, la série co-produite par BBC ONE & NETFLIX

20 avril 2021 - 16:10
Nous avons eu la chance de pouvoir discuter avec Dominik Scherrer de son travail impressionnant sur la co-production BBC One & Netflix, The Serpent ! L’occasion pour nous de le retrouver ici, toujours aussi prolixe et prêt à partager avec nous ses secrets, son expérience.
Le score, édité par Dubois Music, est disponible en digital. Lisez l'article publié en janvier sur Cinémaradio !
• Dominik Scherrer, est-ce compliqué de composer sur un ‘thriller’ tel que celui-ci, sans tomber dans le déjà vu ou l’excessif ?
Dominik Scherrer : C'est compliqué oui ! Je suis sûr que c'était un script encore plus compliqué pour Richard Warlow à écrire en premier lieu, et la clarté de sa narration a rendu le processus un peu moins compliqué pour moi. La beauté de composer quelque chose comme ça ; où vous avez des chronologies différentes, des groupes de personnages apparemment déconnectés, des lieux dans le monde entier, de Bangkok à Paris, de Hong Kong à New York, de la Nouvelle-Zélande au Népal ; est que le score peut se connecter intégralement. Cela peut devenir un fil conducteur qui se concentre sur le scénario central, peu importe qui nous voyons à l'écran et où ils se trouvent dans le monde.
• Votre musique est étonnamment puissante et inspirante, vous avez eu l’occasion de travailler tôt sur le projet, avec le script, lors de réunions, ou vous êtes arrivé assez tard ? Et d’ailleurs quelles étaient vos idées de départ ?
Dominik Scherrer : J'ai été impliqué très tôt dans le projet. Le réalisateur, les scénaristes et moi-même avons échangé des idées et des sources d’inspirations à travers une playlist Spotify partagée qui a finalement duré 37 heures ! J'ai commencé à écrire des thèmes et à essayer de trouver une tonalité pour la série avant de commencer le tournage. Cela signifiait qu'il y avait déjà un ensemble d’esquisses qui pourraient être utilisés sur les assemblages de montage hebdomadaires lorsqu'ils ont commencé à tourner. C'est devenu un processus organique, la musique et le morceau évoluant simultanément. Je voulais composer pour reprendre certaines influences des années 1970 sans faire cliché, et surtout sans être nostalgique. Ce n'est pas un spectacle pour se remémorer la fraîcheur des années 1970. La nostalgie n’est pas pour un projet comme celui-ci. Aussi on doit garder le public vigilant et nerveux, et ne pas le laisser se sentir trop dans le confort.
• Comment avez-vous conçu vos thèmes - d’une façon globale, en regardant des extraits, en discutant avec les réalisateurs ou la production ? Ou en fait en suivant le déroulé de l’histoire ?
Dominik Scherrer : Nous essaierions assez tôt certaines de mes esquisses sur l’image, j'aurais alors le temps de m'ajuster, et d'écrire de nouveaux thèmes pour certains aspects de l'histoire. La clé est, comme c'est toujours le cas avec la musique de film, que la partition n'est pas vraiment quelque chose qui vient s'ajouter à une scène, mais fait partie intégrante de la narration. La musique est aussi une histoire. Le processus a évolué à travers une conversation à trois. Je pouvais recevoir un premier montage et avoir des suggestions pour certaines scènes, ou le réalisateur ou l'éditeur voulait mon angle sur la façon de jouer une scène - si nous jouions avec la supposée fraîcheur de Charles par exemple, ou si nous voulions mettre en évidence sa sociopathie sous-jacente par exemple. Au moment où le montage a été verrouillé, une grande partie de la musique était dans l’approche souhaitée, et le processus suivant était axé sur le raffinement, l'orchestration, l'enregistrement et le mixage.
• Pour rebondir sur la première question, vous n’avez pas eu peur de 'trahir' les victimes, donner trop d’importance au tueur ? Comment avez-vous travaillé cet équilibre ?
Dominik Scherrer : Il y avait certainement un risque que nous soyons séduits par le charme et le charisme de Charles au même titre que ses victimes, mais il était primordial de ne pas le glorifier. Aussi fascinant que soit son modus operandi, la partition tournait davantage autour de sa sociopathie, sur les victimes et sur la volonté de le traduire en justice. Le personnage central pour cela était Herman Knippenberg, le diplomate néerlandais, qui a contribué à traduire Charles en justice.
• Votre composition est excessivement riche et profonde et s’émancipe de toute influence. Il n’y a pas de copié/collé musicaux, de style années soixante dix par exemple - et l’utilisation de thèmes déjà entendus ! Comment avez-vous travaillé cette composition que l’on entend ?
Dominik Scherrer : Il y a certainement beaucoup d'influence là-dedans, comme c'est normal avec toute musique ! Nous ne réinventons pas la roue à chaque fois, mais nous, compositeurs, faisons partie de l’évolution perpétuelle de la musique. J'avais hâte de combiner ces influences d'une manière nouvelle. Je cherchais des mouvements musicaux des années 1970 qui n’ont pas une ‘sensation rétro’ mais offrent une sensation plus tournée vers l’avenir. Les premières pièces de Steve Reich et Philip Glass, les premières musiques de synthétiseur, le Krautrock allemand, la jonction de l'est et de l'ouest, George Harrison mixant avec Ravi Shankar, Nico de Velvet Underground jouant de son harmonium, Lou Reed utilisant son accord ‘d’autruche’ sur sa guitare, etc.
• Vous aviez à l’esprit certaines choses à éviter et certaines auxquelles rendre hommage ?
Dominik Scherrer : Je voulais éviter le son funky trop cliché des années 1970 - comme mentionné, ce n’est pas une histoire liée à la nostalgie.
• Parlez-nous un peu du TONTO et de votre travail sur les sonorités, sur ces accords incroyables qui à l’écoute rendent si bien !
Dominik Scherrer : Tonto a été construit au début des années 1970 comme un énorme synthétiseur modulaire, et a ensuite été utilisé par Stevie Wonder et Gil Scott-Heron, puis a été utilisé sur le Phantom of the Paradise de Brian de Palma en 1974. Le duo qui l'a construit a également sorti ses propres enregistrements, et certains des sons de synthé sont à la fois très inspirants et énigmatiques. Tonto existe toujours et se trouve maintenant à Calgary, au Canada. Je travaillais avec un programmeur de synthé qui était capable de faire de l'ingénierie inverse sur certains de ces mystérieux patchs. Ces sons surprenants ont donné à la partition une sorte de sensation imprévisible et précaire.
• De combien de temps avez-vous disposé pour composer et enregistrer la musique ? Vous avez fait des allers-retours Londres/ Bangkok, enregistré là-bas, étalonné à Londres en studio ?
Dominik Scherrer : La production tournait la plupart des épisodes à Bangkok, alors je les ai rejoints pendant quelques semaines. J'ai principalement passé mon temps à écrire des thèmes dans ma chambre d'hôtel et à enregistrer des percussions et d'autres instruments dans un studio. C'était inspirant d'être au milieu de la production, en visitant les décors. L'un des scénaristes avait sa chambre d'hôtel à côté de la mienne, donc c'était bien de ne pas être seul à écrire. Puis, de retour à Londres, le processus est devenu plus long que la normale en raison de la Covid. La post-production s'est arrêtée soudainement mais temporairement au printemps 2020 jusqu'à ce que nous puissions nous réorganiser en travaillant avec tous les nouveaux protocoles de sécurité. Mais cela m'a aussi donné le temps de réfléchir sur la partition. C’est une situation rare ! Normalement, vous devez vous précipiter dans la post-production comme un fou, alors réévaluer et pouvoir affiner certains détails était une opportunité rare et spéciale, bien que ce soit à une époque de tragédie mondiale. L'ensemble du processus a été un voyage épique et inoubliable.
The Serpent (série en 8 épisodes)
Création : Richard Warlow & Toby Finlay
Production : Stephen Smallwood, Richard Warlow, Tom Shankland, Preethi Mavahalli, Damien Timmer, Lucy Richer
Acteurs principaux : Tahar Rahim, Jenna Coleman, Billy Howle, Ellie Bamber, Mathilde Warnier, Tim McInnerny
Musique : Dominik Scherrer
Merci à Dominik Scherrer pour sa disponibilité ainsi qu’à Valérie Dobbelaere de Post Bills.
Sylvain Ménard, avril 2021