Se connecter
CLIFTON PARKER ET LE SCORE DU FILM DE JACQUES TOURNEUR, CURSE OF THE DEMON
23 juillet 2021 - 23:00
Jacques Tourneur, réalisateur français qui fit quasiment l’intégralité de sa carrière aux Etats-Unis, obtenant la nationalité américaine en 1919, réalisa quelques « fleurons » du genre fantastique et horrifique, parmi lesquels nous pouvons citer La Féline, Vaudou, L'Homme Léopard, et bien sûr Rendez-vous avec la Peur qui nous intéresse plus particulièrement ici. Réalisateur renommé, s’il excella dans divers genre, il avait un goût prononcé pour le fantastique qu’il marqua durablement, et ce film, sorti en 1959, est bien plus qu’un excellent métrage d’horreur, c'est une ode à ce genre et à ce qu’il représente.
Il est rare d’observer cette fusion des sens - l’œil et l’oreille, l’image et le son - même si l’on trouve que la musique de tel ou tel compositeur accompagne bien (ou très bien) les images ; mais sur ce film et à cette époque, dans les conditions où il fut réalisé, sans oublier l’omniprésence de la censure ; cette osmose entre le sujet et son accompagnement musical aura donné naissance à une œuvre incontournable.
Curse of The Demon (Night of the Demon) de Jacques Tourneur, bénéficie de la musique de Clifton Parker (Edward John Clifton Parker), qui en apportant une aura toute particulière à ce film va contribuer à établir sa renommée. C’est le côté poétique de la partition de ce dernier qui nous prend le plus à la gorge, tant des harmoniques à l’orchestration et à sa direction (avec à la baguette Muir Mathieson) tout nous emporte et contrairement à beaucoup d’autres scores de ces années-ci, il resplendit et installe une ambiance aussi sombre que violente ; mais différente, plus magistrale. Parker qui a beaucoup composé pour le théâtre, ceci incluant nombre de musiques de scènes (jouées à Londres) pour William Shakespeare, a également écrit quelques œuvres pour piano et violon, ou pour chœurs. De cette importante contribution aux arts majeurs, lui vient probablement des intentions et des mouvements que l’on pense retrouver dans Curse of The Demon.
Clifton Parker qui commença à composer à l’âge de 16 ans, fut repéré par le directeur musical Muir Mathieson, ceci le conduisant à débuter une carrière fort longue. Si on se souvient nettement plus de son très beau score pour l’adaptation Disney de L’île au Trésor en 1950, sa création pour le film de Tourneur le place encore aujourd’hui comme l’un des compositeurs ayant écrit une des œuvres les plus puissantes de l’histoire du cinéma d’horreur anglais. Dans son ouvrage « The Making of Night of the Demon », Tony Earnshaw nous explique que les censeurs anglais avaient déjà exprimés des réserves concernant la musique alors que le script n’était pas encore finalisé. Cette révélation, qu’on peine à prendre au sérieux, s’explique sans doute du fait de la période* et des films qui sortaient alors sur les écrans, l’année sera d’ailleurs particulièrement faste ; s'y ajoutant donc la crainte de la réception du public face à telle ou telle ambiance. Parker travaillera donc avec cette épée de Damocles, mais la tenue du score, la richesse des thèmes et l’énergie débordante des morceaux en feront l’un des monuments du cinéma de l’âge d’Or. La partition qui semble bien avoir totalement disparue, fera l’objet d’une reconstruction par le musicologue Philip Lane** pour l’édition de Silva Screen Horror en 1996. Cette version sera interprétée par le Westminster Philharmonic Orchestra sous la direction de Kenneth Alwyn (Chef d'orchestre à la BBC durant plus de vingt ans et occasionnellement pour le label Naxos).
John Morgan*** dira en 2012 qu’après d’infructueuses recherches il ne pourra que constater l’étendue de cette perte, aucune source ni information n'étant disponible. Le problème alors de la reconstruction se posant en des termes précis : il faudrait plus que les pistes sonores avec la musique, les effets et les dialogues afin de retravailler les morceaux et les ré-écrire dans leur intégralité, sans oublier les introductions et conclusions desdits morceaux, trop souvent difficiles à distinguer dans la confusion de la bande-sonore.
Nous avons rarement autant regretté le manque d’intérêt des labels qu’en ce cas précis. La musique qui est particulièrement présente tout du long du métrage, est ciselée tel un joyaux, les passages frôlant le romantique ou côtoyant des instants chargés de mystères ou presque inquiétants. Grâce à quelques amoureux de sa musique certains passages ont été extraits - et malgré une édition restaurée du film, d’excellente qualité, mais malheureusement exempte de tout bonus qui nous aurait comblé - nous devons nous contenter de la vision du film afin d’écouter cette fantastique composition de Parker. On pourra également trouver dans le 'Chandos Movies' consacré à Clifton Parker, le Thème de Night of the Demon reconstruit et arrangé par Philip Lane (pour l'édition de Silva Screen de 1996) ; l’impression générale étant celle d’une musique turbulente, anguleuse et singulièrement symphonique. L’enregistrement fut fait par la BBC Concert Orchestra sous la direction de Rumon Gamba en 2004.
Il faut bien constater que les questions de droits et la réelle disponibilité des œuvres, certaines n’ont ainsi jamais été éditées, pose un vrai problème aux amateurs de musique de films, car le principe de la compilation aussi noble (et utile parfois) soit-il, est bien évidemment assujettis aux contraintes citées plus haut et par défaut ce sont des œuvres existantes et maintes fois référencées qui sont de nouveau proposées. Il faut de temps en temps compter avec l’engouement d’un chef d’orchestre au détour d’un récital qui osera demander un travail sur telle partition et aura donc la bonne idée (c’est le cas avec l’œuvre de concert basée sur le score rejeté de Georges Fenton pour Interview with a Vampire) de nous proposer une revisite de la musique, autorisant enfin un accès au public !
Curieusement le destin, ou bien est-ce l’actualité, nous rattrape alors que nous pensons le sujet définitivement clos. Après des mois de recherche, j’en venais à croire que seul un miracle me permettrait de disposer des pistes isolées de cette musique. Et là, au détour d’une visite sur la toile, une information… une sortie du film en Blu-Ray d’il y a quelque mois à peine.
Il semble donc que l’on puisse trouver par le biais des bonus disponibles sur une édition récente du film – en l'occurence le Blu-Ray sorti en 2019 - un accès à des sources et du matériel conséquent d’archives. On pourra y trouver ainsi la musique isolée et les pistes d’effets sonores (comptabilisant pas moins de 82 minutes). On peut donc imaginer (si l’on a pas eu la chance de mettre la main sur ce bel objet) que les sources sont bien celles des pistes isolées. Pour le cinéphile il n’y a aucun doute quant à leur authenticité et subséquemment nous pouvons nous réjouir d’avoir enfin la possibilité d’écouter cette œuvre hors de son support. L’écoute souffre de quelques effets de sons et de la présence de rares bruits parasites, mais est un réel plaisir que tout amateur ne se refusera pas s’il en a la possibilité. On comprend aussi en passant ces pistes extraites, à quel point une reconstruction est un travail de longue haleine et impossible à effectuer si l’on ne dispose pas des partitions. On prend immédiatement la mesure des chutes brutales en fin de morceaux ou des quelques secondes qui manquent aux introductions des mêmes morceaux. Car extraire les pistes de la bande originale fonctionnent de fait lorsque les transitions sont nettes et clairement audibles ; par exemple lorsque une action se termine et que la musique débute (ou se conclut), le tout sans la présence de voix, de bruits, de tout ce qui alimente la bande-son. Or ce n’est jamais le cas, il faut en général aller chercher les quelques secondes d’introductions ou de conclusions, d’où la nécessité d’avoir accès aux partitions. Nous avons connu au début des années deux mille, les éditions nombreuses issues d’extractions (les fameux bootlegs), qui souvent nous semblaient manquer de consistances, car tirées directement du montage final et non de pistes isolées ; et qui non seulement étaient parasitées par des voix et des effets, mais étaient également incomplètes.
Le film a été restauré digitalement par le BFI National Archive (British Film Institute), et si on se remet dans le contexte des conditions de conservations qui prévalaient à l’époque (1957) sans compter la disparition de la partition ; c’est non seulement étonnant mais presque improbable d'avoir cette chance de pouvoir découvrir la musique originale sur une piste isolée !
L’intégralité de cet article sera disponible dans l’ouvrage à sortir (édition Camion Blanc) sur les musiques dans les films d’horreur… nous aurons l’occasion d’y revenir.
* Guerre froide avec de nombreux durcissements en Europe de l’Est, révolution cubaine, début de la guerre du Vietnam…
** Compositeur et musicologue anglais, Philip Lane est connu pour ses arrangements musicaux et son travail minutieux de reconstruction de partitions de films perdus.
*** John Morgan est bien connu des musicophiles pour ses reconstructions (disponibles chez Naxos). William Stromberg qui travaille souvent avec lui dirige le Moscow Symphony Orchestra dans ces reconstructions.
The Film Music of Clifton Parker (compilation)
Label : Chandos
01-07 Suite from Treasure Island (1949) 23:35
01. Main Titles and The Admiral Benbow 3:59
02. To Bristol/Setting Sail 2:24
03. On the Island 2:24
04. Storming the Stockade 3:09
05. Jim Hawkins, Ship to Shore 3:35
06. Looking for the Treasure 2:20
07. Leaving the Island [4:58]
08. Seascape from Western Approaches (1944) 4:37
09-12 The Sword and the Rose (1952) 7:23
09. Fanfare 1:27
10. Galliard 1:11
11. Lute Dance 2:47
12. Volta 2:00
13. March from Sea of Sand (1958) 3:10
14. The Blue Lagoon - Rhapsody for orchestra (1948) 9:15
15. Theme from Night of the Demon (1957) 3:02
16. Virgin Island: A Caribbean Rhapsody (1958) 9:24
17. March from Sink the Bismarck! (1960) 4:19
18. Blue Pullman (1960) 15:34
Horror (compilation)
Label : Silva Screen Records (1996)
Ttp: 44:06
01. Horrors of black museum Overture (Gerard Schurmann) 3:30
02. The haunting The history of hill house (Humphrey Searle) 4:31
03. Corridors of blood Prelude (Buxton Orr) 1:30
04. Night of the demon Overture (Clifton Parker) 3:14
05. The abominable snowman Main title (Humphrey Searle) 1:30
06. Wichfinder general Prelude/romanza (Paul Ferris)) 6:20
07. The curse of the mummy's tomb The tomb/ the desert (Carlo Martinelli) 5:08
08. Konga Overture (Gerard Schurmann) 2:32
09. Fiend without a face Main title/love theme (Buxton Orr) 4:24
10. The devil rides out The power of evil (James Bernard) 1:29
11. The curse of werewolf Prelude Pastorale, The werewolf at bay & apotheosis (Benjamin Frankel) 9:58
Curse Of The Demon (Night Of The Demon) Soundtrack
(Complete Isolated by Clifton Parker)
Date de sortie : 2019 (1957)
Ttp: 27:11
01. Main Title (2:16)
02. Driving To Karswell (1:23)
03. Harrington Relieved (0:58)
04. The Demon Arrives (1:00)
05. Harrington Found Dead (0:24)
06. Superstitious At British Library (0:25)
07. Karswell Meets Holden (1:18)
08. Haunted Hotel Hallway (0:38)
09. Missing Diary Pages (0:34)
10. Storm At The Party (0:59)
11. Dinner Date (0:18)
12. Finding The Runes (1:04)
13. Going To A Seance (1:08)
14. Karswell Surprises Mother (0:14)
15. Holden In Karswell’s House (1:01)
16. Exploring Then Attacked (2:30)
17. Beware (0:21)
18. Into The Woods (2:22)
19. Joanna Abducted (0:59)
20. Suicide & Catching The Train (1:50)
21. The Demon Strikes (3:22)
22. End Credits (0:51)
23. Trailer (0:47)
24. Piano For Spirits (source music) (0:41)
Sylvain Ménard, juillet 2021
