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Soundtrack : découvrez l'entretien que Erwann Chandon nous a accordé pour ‘Complètement cramé’…
09 novembre 2023 à 11h55
Le film ‘Complètement cramé’ vient de sortir sur les écrans, la bande-originale signée Erwann Chandon (lire l'article), est déjà disponible en streaming sur les plate-formes. Notre compositeur s’est prêté fort volontiers au petit jeu des questions & réponses, nous livrant ses « petits secrets de fabrication », tout en nous parlant de cette passion pour ce métier qui l’anime, un métier qui s’avère tellement enrichissant !
L’interview pour des raisons de disponibilité s’est déroulé par échange téléphonique puis par mail. Mille mercis à Erwann pour sa gentillesse et sa toujours grande disponibilité (ce qui reste assez rare dans ce milieu et mérite donc d’être souligné).
Bonjour Erwann, comment es-tu arrivé sur ce projet ?
Erwann Chandon : Par un "appel d'offre", une sorte de casting de compositeur !
Le réalisateur à entendu le travail d'une quinzaine de compositeurs que le superviseur musical du film lui avait proposé. Il a demandé à en rencontrer trois. J'étais le premier rendez-vous, il n'a pas vu les deux suivants.
C’est une grosse production ; à ton niveau as-tu pu bénéficier d’un ensemble honorable ?
Erwann Chandon : J'ai eu la chance de collaborer avec un superviseur musical, Pierre-Marie Dru, pour qui le confort du compositeur et les conditions de production de la musique sont primordiales. Toutes les conditions ont été réunies pour que je puisse composer la musique en sachant que toute la chaine de production (la copie des partitions, la préparation des sessions d'enregistrement, l’orchestre, l’ingénieur du son) serait sans faille. C'est très précieux (et assez rare à mon niveau) de pouvoir se focaliser sur la composition en sachant que la suite du travail sera bien faite.
Ce type de sujet t’as permis de développer des thèmes extrêmement jolis et élégants ; c’était un choix commun ?
Erwann Chandon : Pour Gilles Legardinier, la musique n'est jamais accessoire dans le film. Il l'a pensé comme un vrai élément de la mise en scène, au même titre que la lumière, la direction des comédiens, les mouvements de caméra, les décors... Il allait de soit qu'il n'allait pas traiter la musique comme un papier peint.
Dès l'écriture du scénario, Gilles avait aménagé des moments musicaux. La musique ne peut prendre sa place qu'a cette condition selon moi. Il n'y a qu'en la pensant en amont qu'elle peut réellement prendre part à la narration et développer tout son potentiel émotionnel.
Gilles avait même des idées musicales. Un jour, il m'a laissé un mémo vocal dans lequel il me chantait une très belle mélodie qu'il avait en tête pour le personnage d'Andrew Blake. Je l'ai transcrite au piano, harmonisée, orchestrée et c'est devenu le thème principal du film. Il est revenu plusieurs fois au studio et nous avons cherché ensemble quelques thèmes secondaires en discutant autour des différents caractères et portraits psychologiques des personnages.
On peut dire que le travail mélodique du film s'est fait à quatre mains... ou deux cerveaux !
En tant que compositeur tu peux nous dire comment tu trouves les thèmes, comment tu les travaille avant de les soumettre ?
Erwann Chandon : Pour ‘Complètement Cramé’, comme dit ci-dessus c'est un cas particulier mais d'habitude, c'est l'étape du projet à laquelle j'accorde le plus d'importance.
La recherche du thème pour moi c'est comme faire la sélection méticuleuse d'un matériau avec lequel je vais construire quelque chose. Comme un menuisier choisirait le meilleur bois pour construire son meuble. En fonction du type de meuble, son choix se porte sur tels ou tels bois, en fonction de leur couleur, texture, flexibilité, parfum (ce sont d'ailleurs des termes qu'on utilise pour décrire la musique...). Je passe beaucoup de temps à façonner la mélodie, à la mettre en perpective avec l'harmonie afin qu'elle devienne à la fois simple et riche, à la fois directement accessible et impactante émotionnellement mais aussi complexe et exigeante musicalement.
Pour moi, tout part de la mélodie.
Il y a un gros travail de préparation ; entre le moment où tu écris, celui où tu commence à poser des embellissements, à penser aux instruments…
Erwann Chandon : Il y a deux grandes phases :
- La recherche 'du' ou 'des' thèmes au piano. A ce stade, je ne pense pas encore à l'orchestre, je me concentre sur le matériau musical ou comment les notes interagissent entre elles. Construire une mélodie, changer une note pour prendre un nouvelle direction, changer un accord pour apporter une autre lumière. Je prends soin d'accorder du temps à cette étape, même si elle se passe souvent dans une forme de souffrance.
- L'orchestration. Une fois que 'le' ou 'les' thèmes sont validés, je commence la composition sur l'image à l'aide d'instruments virtuels. Mes maquettes sont très abouties en terme d'orchestration, tout est déjà là, toutes les doublures ou les divisions, jusqu'au dernier coup de triangle. Dans cette phase de composition à l'image, j'adapte les mélodies et malaxe la matière musicale pour qu'elle s'accorde au mieux à la direction émotionnelle sur laquelle on s'est entendu avec le réalisateur ou la réalisatrice. C'est ici qu'intervient le choix des instruments et de la couleur sonore que je veux donner à la musique. J'essaie, autant que faire se peut, de trouver une couleur bien particulière pour chaque BO, une signature sonore, au delà de la mélodie ou de l'harmonie, qui va parler directement aux sens plutôt qu'au cerveau. Par exemple sur ‘Complètement Cramé’, il n'y a presque pas de cuivres. Il a des cuivres dans l'orchestra mais jamais utilisé de manière ostentatoire. Je les utilise pour densifier l'orchestre et donner de la chaleur mais jamais pour leur caractère brillant et éclatant. Gilles et moi voulions un son très doux en enveloppant pour cette musique.
Comment as-tu travaillé la musique : en te calant avec le réalisateur, en échangeant ? Il te proposait des notes d’intentions, de la musique temporaire ? C’était un échange ?
Erwann Chandon : Oui c'est un échange qui a commencé avant même qu'on ne parle du film Gilles et moi. Il a commencé quand on s'est présenté l'un à l'autre, quand on a appris à se connaitre, à se comprendre, à évaluer ce qui suscite l'émotion en nous, comment on perçoit les rapports entres les humains, leurs failles, leurs beautés, leur travers ... Et avec Gilles j'ai été servi !! Les discussions ont tout de suite été passionnantes et plus on parlait de la vie, plus je comprenais la direction musicale de son film.
J'ai eu la chance que le monteur, Yves Deschamps, ait mis un point d'honneur à ne pas mettre de musique temporaire pendant le montage du film. La contre-partie c'est que j'ai dû fournir beaucoup de musique rapidement pour qu'il puisse les placer à divers endroits du film pour se donner un rythme, une direction... L'immense bénéfice que j'en ai retiré est que je n'ai pas eu à imiter des morceaux d'autres compositeurs qui auraient été placé sur le montage à l'avance ("temp track"), ainsi on est resté cohérent esthétiquement du début à la fin et c'est, selon moi, la seule manière de pouvoir avoir une identité musicale sur un film.
Tu sais, en discutant avec le réalisateur, de combien de temps tu vas disposer sur tel ou tel passage à l'avance ? C’est compliqué de restreindre la durée des pistes, ce qui pose la question de leur longueur !
Erwann Chandon : C'est l'objet d'une réunion qui a lieu quand le montage commence à être solide, ce qu'on appelle la séance de "spotting".
Le compositeur, le réalisateur et le monteur regardent le film et discutent de quand, pourquoi et comment la musique doit intervenir dans la narration. Personnellement j'adore ce moment là.
C'est un moment où le compositeur à un vrai regard de "raconteur" à apporter. On ne lui demande pas de composer de la musique mais de conscientiser quel rôle elle va jouer à quel moment… Réfléchir à toutes les émotions complexe qu'on va pouvoir convoquer chez le spectateur avec la conjugaison de la musique et de l'image. Et pour en revenir à ta question, si pour que l'effet fonctionne, la musique ne doit durer que 20 seconde, elle ne durera que 20 secondes, c'est l'émotion qui prime.
Tu as eu combien de temps pour écrire la musique, l’orchestrer et l’enregistrer ? C’est un budget important ?
Erwann Chandon : Pour ‘Complètement Cramé’ j'ai eu un délai assez confortable. Entre les première propositions de maquettes et l'enregistrement, il s'est passé 8 mois. C'est assez rare d'avoir autant de temps. C'est encore un fois grâce à la volonté du réalisateur d'inclure la musique très tôt dans le processus de création.
Le plus gros du travail est la composition sur l'image avec des instruments virtuels. La phase de copie (passage du logiciel à la partition) à pris environs trois semaines. C'est une phase qu’il ne faut pas négliger, même si l'orchestration est déjà aboutie dans les maquette. La manière dont la copie est faite va directement avoir un impact sur l'interprétation des instrumentistes. Ici j'ai fait appel à Jehan Stefan qui est un orchestrateur hors pair, passionné par la composition, l'orchestration et la manière de noter la musique pour rendre le plus fidèlement possible (en beaucoup mieux bien sûr) ce que le réalisateur à validé sur maquette.
En parallèle, il faut commencer à préparer les sessions ProTool pour l'enregistrement. Clément Cornuaud a assuré ce travail méticuleux et très important pour que tout se déroule bien en séance. Puis est intervenu Stephane Reichart pour mixer la musique, un excellent ingénieur du son spécialiste de l'orchestre.
Tout ces corps de métier, l'orchestre, le studio, et j'en passe, mis bout à bout représentent un certaine somme en effet. Je n'ai pas les chiffres exacts sur 'Complètement Cramé' mais je pense qu'ils doivent avoisiner les 70 000 €.
Comment se sont passées les sessions d’enregistrement, tu t’es occupé de la direction à cette occasion ?
Erwann Chandon : Oui, nous sommes allé enregistrer la musique à Berlin dans les studio de Babelsberg avec le Deutshe Filmorchester Babelsberg. Je n'ai pas dirigé, c'est Gast Waltzing qui s'en est chargé avec talent.
Nous avons eu quatre séances de trois heures réparties sur deux jours pour enregistrer environs trente minutes de musique. C'est assez confortable et ainsi, nous avons pu obtenir le meilleur de l'orchestre.
Quels sont tes projets à venir ?
Erwann Chandon : Je travaille actuellement sur deux projets de long-métrage d'animation, un français et un belge.
Je suis également en train de commencer la composition d'une commande pour chœur et orchestre ; et j'attends avec impatience la sortie du prochain film sur lequel j'ai travaillé il y a quelque mois, ‘Chasse Gardée’, une comédie de Frédérique Forestier et Antonin Fourlon avec Didier Bourdon, Hakim Jemili, Thierry Lhermitte et Camille Lou.
Sylvain Ménard, novembre 2023
[Vous pouvez retrouver l'article sur le score de Erwann Handon ici…]