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Sortie du roman de Pat Cadigan, tiré du script original de William Gibson pour Alien 3
21 octobre 2022 à 14h25
On a tous en tête une anecdote qui nous revient des démarrages laborieux de certains films, condamnés à ce que l’on nomme « l’enfer du développement »… Alien 3 fut de ceux là, mais la réelle originalité de ces scripts rejetés, ces histoires oubliées, fut bien qu’elles marquèrent, et marquent encore les esprit, dans leur dimension horrifique ou religieuse, voire militaire, concernant le troisième volet de la franchise.
DU SCRIPT DE WILLIAM GIBSON… AU ROMAN ÉCRIT PAR PAT CADIGAN ET ÉDITÉ PAR BRAGELONNE
William Gibson fut contacté afin de rédiger le premier jet de ce qui serait le scénario le plus original, mais qui ne convaincrait malheureusement pas les producteurs. Basé sur un développement en plusieurs parties, tout du moins deux puisque Helen Ripley était blessée dans la première partie et n’apparaitrait que sur la seconde, Hicks et Newt étaient par contre bien présent, ainsi que Bishop, l’élément central si l’on peux dire. Le schéma s’articulait sur un thème particulièrement novateur ; les Colonial marines et la Compagnie, représentant une version de l’univers - très américaine et capitaliste - s’opposant à son éternel ennemi idéologique ! Ainsi que se passerait-il si il existait un territoire plus « marxiste », s’opposant par définition à la vision de l’univers telle que décrite dans les films, mais animé des mêmes intentions malsaines, l’avidité et cette quête insatiable de pouvoir, mais dans un environnement clairement inspiré par l’Union soviétique.
L’histoire débute ainsi, le Sulaco suite au problème rencontré avec un œuf d’alien (déposé par la reine) et son habitant quelque peu envahissant provoque un dommage qui fait dévier le Sulaco de sa trajectoire, le faisant pénétrer dans l’espace de l’UPP (Union des Peuples Progressistes). L’action se déroulait sur les deux stations, l’une de la marine coloniale, l’autre de l’UPP. Chacune faisant face aux mêmes erreurs, Newt et Hicks essayant de prévenir de ce que seraient les conséquences dramatiques qui ne manqueraient pas de survenir…
Relent de guerre froide, confrontation entre les deux super puissances, l’histoire avait tout pour plaire (et nous ravir), mais le sort (et les exécutifs) en aura décidé autrement ; si ce n’est qu’avec cette édition du script novélisé par Pat Cadigan, l’histoire nous est maintenant accessible. Nombre d’entre nous se passionnent pour les films et leur trajectoires souvent compliquées, Alien 3 en fait partie et ceux qui ont pu lire le script de Gibson (facilement accessible sur la toile) auront compris de quoi je parle. L’une des facettes les plus intéressante est que chez Gibson, est déjà évoquée la probabilité de l’existence d’un virus Alien ; et ça ne vous dit rien… Prometheus et Alien Covenant ? Idée qui sera plus ou moins reprise dans le script de Eric Red. Les communistes (ce que de facto l’UPP est) ont à priori réussi à faire se développer un embryon d’alien et s’interrogent sur sa nature… l’alien est-il une créature venant d’un monde précis, une créature façonnée par d’autre créatures… une arme en quelque sorte ! Sans vous en dévoiler plus, ce roman est épatant et rend ainsi justice à l’œuvre de Gibson.
Notons que le fameux code-barre tatoué sur la nuque (repris plus tard dans Hitman), est ici l’apanage des forces militaires de l’UPP sur la station RODINA.
Et alors que nous avions été déçus par le traitement visuel dans le roman graphique récemment sorti, entre un trait figé, une adaptation mollassonne et trop ‘standard’ du scénario de Gibson ; cette novélisation est quant à elle parfaite, rendant hommage au travail accompli et ravissant les fans ! Il est bien sûr évident que le travail du romancier est d’étoffer l’œuvre initiale, mais surtout de gommer les nombreuses incohérences - celles dans le déroulement de l’action notamment - qui passent fatalement à l’écran, mais pas en littérature. Et c’est sans compter sur l’interventionnisme du réalisateur - étape normale - qui aura sûrement modifié ou retiré certaines choses au moment du tournage, ou lors du montage. Ici, la liberté reste à la seule discrétion de l’auteur, mais jamais celle de l’interprétation, puisque il se doit de demeurer fidèle au script. On pense que ce n’est pas loin de la rédaction d’une œuvre littéraire classique, où l’auteur pose les jalons de sa « partition », en décrivant les personnages existants et leur histoire, les lieux divers et les actions envisagées. Tout ceci lui permettant de construire et de développer son œuvre, sans s’éloigner inutilement de son but. Mais le travail sur une novélisation est bien plus complexe, puisqu’il se heurte à l’élaboration d’un script, validé partiellement la plupart du temps.
Demandez à Alan Dean Foster ce qu’il pense de son travail sur Alien 3, où il a travaillé à partir de la version non définitive ? Celle qu’il a eue en main contenait l’extraction de l’EEV hors de l’eau, la ‘naissance’ de l’alien par le biais d’une vache mutée (et non le chien du film), diverses scènes de descriptions et de confrontations, dont celles ou les humains ont réussi à capturer l’alien dans une pièce blindée, alien qui sera libéré par un des détenus. Ces scènes nous les connaissons, elles sont dans la version longue du film (version du producteur), et figurent donc logiquement dans la novélisation parue à l’époque.
Là, le travail de William Gibson, trouve un écho avec sa ’traduction’ dans un mode littéraire, plus de trente ans après, mais avec la connaissance des versions diverses, où l’écrivaine se trouve obligée d’avoir tout ce matériau pré-existant à l’esprit. Un vrai capharnaüm me direz-vous… Ça n’en est pas si éloigné, car Pat Cadigan écrit avec sa prose, doit s’ajuster sans doute à celle de Gibson, sans lui porter préjudice. Nous sommes loin d’un copié collé de répliques et de dialogues. Aussi sur une composition large, où s’imbriquent autant de personnages, sur un script qui aurait donné vie à un film de plus de deux heures, notre écrivaine a fourni un remarquable travail et d’adaptation et de création.
Pat Cadigan est une auteure américaine à qui l’on doit de nombreux romans et adaptations tirés d’œuvres connues (comme Gunnm - Alita Battle Angel). Elle offre une certaine vitrine au cyberpunk, bien que ne revendiquant pas son appartenance à ce mouvement ; et cette novélisation du script de William Gibson, apparaît alors comme presque obligatoire au vu de son travail.
William Gibson est un auteur américain de SF, reconnu comme le pape du mouvement Cyberpunk. Ses romans les plus connus sont Neuromancien, La Machine à différences, et sa fameuse Trilogie du Pont. Au titre des adaptations cinématographiques qui valent le détour, on retrouve Johnny Mnemonic (avec Keanu Reeves), tiré d’une des nouvelles de Gibson, New Rose Hotel, son titre emblématique Neuromancer étant toujours en développement. Il a par ailleurs co-écrit les scénarios de deux épisodes de X-Files, Clic mortel (Kill Switch) et Maitreya (First Person Shooter). Il est le créateur du terme cyberespace, ce qui vous laisse envisager l’influence qu’il a pu avoir sur la saga Matrix. Son importance dans le développement de certaines œuvres de Mamoru Oshii serait également prépondérante.
ET MAINTENANT… POUR EN REVENIR À ALIEN3 !
Pour compléter tout ça, il apparait opportun de faire un état des lieux. On connait plus de trois scripts rejetés, dont certains par des personnalités connues comme David Twohy (créateur et réalisateur du fameux Riddick avec Vin Diesel), ou le romancier William Gibson (mais c’est l’objet de notre article !), sans compter les versions de travail écrites par Walter Hill et David Giler. Mais n’oublions pas que nos trois producteurs que sont Walter Hill, David Giler et Gordon Carroll, co-fondateurs de Brandywine Productions, ont œuvré afin de proposer leurs versions. Des trois comparses, ce sont les deux premiers qui auront le plus impacté les travaux des divers réalisateurs, allant dans le cas de Alien 3 jusqu’à réécrire le scénario plusieurs fois.
LES DÉVELOPPEMENTS CONTRARIÉS OU ABANDONNÉS
Après que le premier script ait été rejeté, celui de Gibson donc, le scénariste Eric Red offrit un développement que Sigourney Weaver elle même ne supportait pas. Dans ce script le Sulaco se faisait aborder, des hommes en armes prenaient Bishop et l’emportaient sur un monde tout proche. Son script - réputé comme l’un des plus violents ; et je vous assure qu’il l’est pour l’avoir également lu - voyait des hordes d’aliens, des virus aliens, des morts par dizaines… pas si éloigné en cela de certaines productions au rabais. Une des raisons sans doute qui d’emblée le classa dans la catégorie des développements incompatibles avec la franchise - trop outrancier - et aussi irréalisable.
A sa décharge, Red le confirmera plus tard, les producteurs n’avaient aucune idée de ce qu’ils souhaitaient… Mais surtout (ceci vous expliquera le rejet de l’actrice principale) Ripley n’apparaissait pas dans le script ! Ce développement fut écrit alors que Renny Harlin était rattaché au projet comme réalisateur.
David T. Twohy reprit pour sa part le flambeau. Dans ce script qui date de fin octobre 1989, il fit se dérouler l’action en partie dans l’espace et dans un champ d’astéroïdes où se trouvait un pénitencier. Cette démarche nous rapprochait en soi du script final du film tel que nous le connaissons, avec les prisonniers, le centre carcéral. A noter que tous les personnages développés par Twohy étaient originaux, il ne reprenait de fait aucun de ceux que nous avions laissés à la fin de Aliens.
Et bien sûr le développement signé Vincent Ward alors embauché comme réalisateur, le fameux développement qui voyait Ripley arriver alors que le Sulaco avait subit une avarie, sur un monde artificiel recouvert de bois ; un monastère qui s’avérait être la résidence de moines. Outre la dimension religieuse inhérente au sujet, la sacralisation des lieux (tels qu’on peut les voir sur les concept-arts et les story-boards d’origines) ; c’est tout un univers qui, hormis le planétoïde, se retrouvera dans le script final. L’histoire par contre se terminera sur la fuite dans l’espace de Ripley - une fois encore la seule survivante - dans la capsule EEV* du Sulaco. (*Emergency Escape Vehicle)
Il y a d’importantes différences, et non des moindres, puisque ce sont les moines qui meurent, finissent en chair à pâté et se sacrifient pour elle. Le travail de Vincent Ward, aidé par le scénariste John Fasano reste tellement remarquable, qu’à l’heure d’aujourd’hui on reste subjugué par son audace, sa vision entre religion, mysticisme et horreur flamboyante.
S’ensuivra donc la rédaction du développement « définitif », écrit par Walter Hill et David Giler ; exit donc le planétoïde, exit les moines ; à la place se sont d’anciens prisonniers reconvertis en gardiens d’usine (et quelle usine !), qui seront confrontés à un alien le tout se déroulant sur un monde qui semble aussi majestueux qu’inhospitalier.
Une version sera réécrite par Rex Pickett (arrivé avec le réalisateur David Fincher), se basant sur le développement de Walter Hill et David Giler. Elle date pour sa part de décembre 1990 et reprend l’action, tout en changeant la fin. Un grand nombre de ses corrections sont dans le montage final.
S’y ajouteront les quelques relectures et retouches, dont celle de Walter Hill et David Giler toujours, s’échelonnant de janvier à avril 1991. Dans cette version, les modifications sont relativement minimes, et s’axent sur la place des personnages, leur importance…
S’ajoutera enfin Larry Ferguson à cette liste, contribuant à l’écriture finale.
Mais in fine, la trame telle qu’on la connait ne sera plus guère modifiée.
Sylvain Ménard, octobre 2022