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Le cinéma d'animation japonais… Hier, aujourd’hui et demain
23 juin 2024 à 14h55
A l’occasion de la sortie en salles de ‘Tunnel To Summer’ de Tomohisa Taguchi, revenons sur la production en général, sur les grands noms du cinéma d’animation japonais ; sur ce que ‘aujourd’hui’ nous offre, sur ce que ‘demain’ sera…
EN GÉNÉRAL…
L’esthétique du film d’animation japonais, connu souvent sous son seul nom « d’animé », a toujours su évoluer, s’adapter (une des grandes qualités des japonais d’ailleurs, penchez-vous sur leur histoire), tout du long de cette relation qu’il entretient avec son public depuis des décennies. Mais alors que nous avons connu il y a un peu plus de dix ans, les grandes séries, les éditions DVD, les collections et autres joyeusetés que nous autres, fans, attendons impatiemment et aimons par dessus tout ; il nous a bien fallu constater l’appauvrissement des sorties et un mode narratif qui devenait plus ou moins l’usage, des personnages interchangeables (d’une série ou d’un film à l’autre), et comble de l’hérésie - si j’ose dire - une uniformisation globale des ‘backgrounds’, autrement dit, les décors.
Et ce qui nous frappe au niveau des décors, est également valable concernant le caractère-design ; ce que nombres d’entre-nous avaient constatés depuis fort longtemps. C’est le développement d’une forme de conception ‘idéalisée’ (ou bien qu’on imagine idéale… dans un sens générique) que le spectateur souhaite (ou souhaiterait…), avec un design de personnage ‘passe partout’, interchangeable comme nous l’avons dit précédemment, et qui souligne la politique du moindre risque de la part des studios.
A ceci s’ajoute l’arrivée sur le marché, en tant que distributrices puis productrices, des plateformes. Lesquelles plateformes sont constamment à la recherche de la rentabilité maximale, celle qui tirent vers le bas la production. Preuve en étant les déclarations récentes de Netflix sur le cinéma, et leur volonté de diffuser des films qui trainaient dans un tiroir… mais parfois pour de bonnes raisons.
LA RELÈVE…
On a dit beaucoup de choses sur la « relève », celle d’Hayao Miyazaki par exemple. Mais on ne tient pas compte d’un certain nombre de choses primordiales. Actuellement les studios travaillent souvent de la même façon et nous sommes bien loin - oh, vraiment bien loin - du travail de personnalités comme Mamoru Oshii, Katsuhiro Ōtomo, Hayao Miyazaki, Makoto Shinkai, Satoshi Kon, Hiroyuki Okiura ou Rintaro ! On parle d’esthétique, mais on ne remets pas en question celle du character design, voire des décors. Or d’un film à l’autre, d’un film de Makoto Shinkai (que nous aimons beaucoup) à un de Tomotaka Shibayama et Jun'ichi Satō, nous avons de plus en plus droit au même trait, au même graphisme. Ce qui faisait la force des ‘anciens’, tourne aujourd’hui à des similitudes de conceptions, de personnages qui d’un film à l’autre, d’un réalisateur à l’autre, sont pareils. Et je vous fait grâce des décors.
Du studio Madhouse au Studio Colorido, maintenant on a comme l’impression d’avoir une norme dans le design.
Nous sommes loin de certaines productions portées par Studio 4°C, Manglobe, Bones ou le fameux Production I.G. Ce qui nous frappe aujourd’hui c’est bien cette forme d’uniformisation, qui d’un Your Name, À Loin de moi, près de toi, en passant par Tunnel To Summer, nous propose les mêmes visages, les mêmes poses… Sur Les Murs vagabonds ce seront les décors qui nous paraitront totalement banals.
Le récent film Maboroshi sur Netflix bénéficierait d’une animation différente, plus ou moins visible dans les décors (très beaux), et surtout sur le graphisme des personnages. Tout comme d’ailleurs (exclusivement pour les fans hardcore - et nous en sommes) sur l’excellent Blame! (tirée du manga), avec un travail irréprochable de POLYGON PICTURES. Alors que par la suite, le travail de ce studio sur la série d’animation Godzilla, ira du moyennement bon, au carrément catastrophique avec lumières saturées, traits renforcés et histoires plus que moyennes.
Un très bon exemple pour conclure cette partie, est celui de Gorō Miyazaki avec Aya et la Sorcière ! Après nous avoir enchanté avec La Colline aux coquelicots, il a totalement échoué avec une adaptation mal pensée, aux personnages laids et caricaturaux au possible, le tout alourdi par une animation impersonnelle sur cet animé datant de 2020.
Et comme il ne faut pas se quitter sur une mauvaise impression, un bon contre -exemple (et c’est tant mieux) est celui du film sorti en salles de Yuhei Sakuragi, Les Mondes Parallèles en 2019. De l’animation aux décors, en passant par la mise en scène, c’est un exemple de film réussi et intéressant. Mais avec la prochaine sortie de son film, Give It All, il n’est pas sûr qu’en fonction du sujet - des adolescentes, une compétition - il trouve matière à s’affirmer comme une valeur montante de l’animé.
Et c’est bien là que se pose le problème suivant, la qualité de l’histoire, le script…
UN BON SCRIPT…
La différence - notable - réside dans le scénario et la qualité de la réalisation. Quand on parle d’un Miyazaki, d’un Rintaro (dont on espère voir diffuser le dernier court métrage (lire article)), d’un Shinkai, d’un Otomo ; on est sur un cinéma qui s’est affranchi du carcan imposé et a su donner le meilleur de lui même au service d’une histoire forte.
A ce stade, il est clair que nous sommes tous, en tant que fans, conscients des problèmes qui existaient déjà il y a quelques années, problèmes qui n’ont fait que perdurer, voire augmenter. Les budgets ne suivent pas, les productions sont à rallonge, il faut faire du rentable.
Ajoutons que l’arrivée des plateformes sur le marché des diffuseurs, n’a fait que diminuer les enjeux notables des productions.
À de rares exceptions prêts, Blame! (cité plus haut), l’excellente série Onimusha, la relativement bonne série Blue Eye Samurai (son problème majeur est liée au scénario) ; nous sommes souvent face à des séries bien trop longues, bavardes et esthétiquement contestables comme GAMERA ou GODZILLA L'origine de l'invasion (et là c’est vraiment un souci d’esthétique avec la 3D).
Avec ces productions, nous sommes dans un contexte de rentabilité (que l’on comprend), mais qui nuit à la lisibilité des films et séries, les rendant peu digeste, et surtout brasse des idées, les remodèle afin qu’elles soient assimilables par tous. Nous avions traités du film de Yusuke Hirota, De l'autre côté du ciel, qui assumait une grand originalité au niveau de l’animation et des décors, un film poétique, mais un film avec un discours également.
Or il y a un fait indéniable, c’est que nous sommes nombreux à nous passionner pour le cinéma d’animation, japonais notamment, et ce depuis quelques décennies.
Appelons cela le privilège de l’âge, mais quand on en a vu des dizaines et des dizaines, entre films et séries, bénéficiant de sorties cinéma parfois, puis en VHS, puis en DVD ; on a vu déjà le meilleur (parfois le pire), mais réalisés et animés avec du talent ou de la débrouillardise.
Aujourd’hui, le raccourci vers le tout numérique et la facilité de la 3D (attendons avec intérêt ou effroi, c’est selon, l’utilisation de l’IA), fait que certains coûts de production ont diminué, et que sans une réelle qualité d’écriture et un bon script, on ne crée plus ! Non, on produit…
Or produire n’est pas un acte lié à l’Art, ce que le film d’animation japonais a toujours revendiqué, c’est une volonté propre à la rentabilité et au parts de marchés, sans oublier l’audience.
EN CONCLUSION…
Alors parlons-nous d’une simple et temporaire « étape » par laquelle passe le cinéma d’animation japonais… un temps d’adaptation ! Ou bien faut-il réellement s’attendre à des productions au rabais, à des films sans âmes ? Car n’oublions pas que plus il y a de plateformes et de modes de diffusion, plus ceux-ci auront besoin de contenu à distribuer.
Et ce que Netflix actuellement préconise et revendique en imposant des modes et des codes, n’est ni plus ni moins que la fin de l’indépendance et de la culture, alors qu’Amazon resterait plus prudente, tandis que Disney+ essaierait d’aller vers des productions plus raisonnées, plus qualitatives, après avoir eu de mauvaise remontées sur certaine séries maison.
Et tout ça - cette réflexion - doit s’accompagner d’une évidence ; l’arrivée d’autres sites de streaming, de AppleTV à OCS en passant par Paramount ou Universal ! Et quant à ces deux dernières, initialement des studios de cinéma, avant d’être des diffuseurs, on ne peut s’empêcher de se poser la question relative à l’intérêt des programmes et la capacité de ces plateformes à accepter de les diffuser en streaming, dès lors qu’ils existent en support numérique. Mais ceci s’applique également à Disney.
Autant de concurrents, donc, autant de soucis de catalogue (qu’on se passe allègrement de l’un à l’autre pour certains titres) et autant de raisons de produire vite et mal.
Sylvain Ménard, juin 2024
Lien : https://www.cinemaradio.net/news/de-lautre-cote-du-ciel-un-film-danimation-de-yusuke-hirota-en-aout-au-cinema-431
https://www.cinemaradio.net/news/les-mondes-paralleles-de-yuhei-sakuragi-219
https://www.cinemaradio.net/news/le-garcon-et-le-heron-signe-le-retour-du-grand-hayao-miyazaki-647
https://www.cinemaradio.net/news/le-court-metrage-de-rintaro-nezumikozo-jirokichi-dedie-a-sadao-yamanaka-devrait-bientot-arriver-670