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La composition musicale est-elle un milieu d'hommes ?
16 février 2021 à 23h55
Musique de films & femmes compositeurs ou bien compositrices !? … Comme certains mots nous semblent compliqués. On a comme l'impression qu'on va finir par fâcher les uns ou les autres. Quoiqu'il en soit, le sujet de cet article est bien la "FEMME" ; la femme et la musique, la femme et la musique de film !
Alors qu'il est rare (voire quasiment impossible) de voir une femme distinguée pour une composition dans ce milieu si fermé du 7ème art, il est intéressant de se pencher sur les nominés - et on ne parle pas de ceux qui ont été célébrés - et de chercher la femme ! Et ne vous y fiez pas "Daniele Amfitheatrof" nominé aux Oscars en 1946 est un homme, un compositeur russo - italien. Il est vrai que certaines décennies ont été plus propices que d'autres, vrai également que ces dernières décennies ont vu le monde s'ouvrir, des femmes devenant chef d'orchestre, compositrices !
On notera que par contre, la place de la femme du point de vue "vocal" a toujours été importante. Les "divas " comme Amelita Galli- Curc, Ninon Vallin ou Lotte Lehmann étaient déjà là en début et milieu du vingtième, et inutile de revenir sur une Maria Callas, Barbara Hendricks, Montserrat Caballé, ou plus récemment sur une Angela Gheorghiu, Cecilia Bartoli ou Natalie Dessay. De même l'instrument - dans le sens noble du terme - du piano au violon, en passant par le violoncelle ou les instruments à vents ; est idéalement représenté. J'oubliais de citer des batteurs - batteuses ? Mais quid de la compositrice !?
C'est ici que la reconnaissance ne se fait pas. Il faut attendre les années deux mille pour voir citée Rachel Portman pour sa composition de L'OEuvre de Dieu, la Part du Diable (The Cider House Rules) et en France est-ce que la date à retenir est celle de 2011 avec Delphine Mantoulet pour Liberté ? Et même si par la suite il y a eu quelques évolutions, nous voyons plus de décisions se prendre pour de mauvaises raisons - faire de l'audience, parler au grand nombre en faisant alors abstraction de la qualité parfois - que de réelles évolutions.
Aussi cela reste étonnant de noter cette relative absence des femmes dans ce milieu si particulier de la composition (et pas seulement de la musique de films), quand bien même elles brillent justement et font preuve d'une grande créativité. Il paraît à ce titre significatif de remarquer que c'est bien l'image qui en est donnée et non pas la réalité des faits qui prédomine ici.
De la sorte on pourrait citer ;
Elisabetta Brusa, compositrice italienne, dont l'oeuvre est particulièrement riche, évocatrice et mélodique, ses oeuvres pour orchestre – le court poème symphonique Op 20 Merlin est un pur joyaux - étant au catalogue Naxos. Elle nous aura offert tout récemment une composition incroyablement belle et divinement orchestrée,
Gloria Coates, dont la musique, marquée du sceau du minimalisme, a été influencée par Krzysztof Penderecki et György Ligeti entre autres, puis s’est tournée vers la musique concrète ! Elle a composé pour orchestre, de la musique de chambre, des pièces pour voix, des oeuvres chorales, de la musique électronique ou de scène,
Suzanne Ciani qui a étudié la musique classique au Wellesley College puis la musique assisté par ordinateur. Compositrice de musiques de films publicitaires, de jeux vidéos mais également connue pour son score sur The Incredible Shrinking Woman (1980) pour lequel elle est créditée seule, ce qui sera une grande première - c'est dire !,
Jane Antonia Cornish, compositrice (et orchestratrice) de musiques de films, de musique de chambre, de musique orchestrale. Distinguée en 2008 pour son poème orchestral, Symphony,
Deborah Lurie, bien connue pour ses collaborations en tant qu’orchestratrice de Danny Elfman et ayant été distinguée en 2011 et 2012 en recevant la récompense pour musique de film et télévision décernée par l’Ascap (American Society of Composers, Authors, and Publishers),
Alla Pavlova, compositrice et musicologue, qui nous a offert plusieurs symphonies, des oeuvres pour petits ensembles, un ballet,
Rachel Portman, compositrice de musiques de films et de quelques oeuvres classiques, nominée deux fois aux oscars pour la meilleure musique de films et l'ayant remporté en 1997 pour Emma, l'entremetteuse,
Karen Tanaka, née à Tokyo et ayant étudié au Japon et en France, compositrice et enseignante (à l'Institut des Arts de Californie), ayant collaboré avec maints ensembles et orchestres de réputations internationales et auteur d'oeuvres pour orchestre, de musique de chambre, pour instruments solo, pour choeurs,
Et sans oublier l'immense dame trop rapidement disparue : Shirley Anne Walker ! Qui a fait figure de pionnière dans un monde éminemment masculin et qui nous a quittée en 2006. Elle fut donc la première à oeuvrer en tant que compositrice, productrice et chef d’orchestre, ayant obtenu un Emmy pour la série d’animation Batman. Elle est connue pour ses scores sur la série Final Destination (malheureusement non édités) et quelques séries mémorables, dont les Batman et Space: Above and Beyond,
On peut encore citer Julie Delpy. Actrice, réalisatrice, compositrice et chanteuse, auteur du très beau score de La comtesse, qu’elle réalise et interprète par ailleurs.
Ou pour aller vers des univers sonores différents, Yoko Kanno. Connue pour ses collaborations sur des animes (Ghost In The Shell la série), des jeux vidéos, du cinéma ou de la télévision, ou bien encore pour de la musique pop !
Et bien évidemment cette liste n'est qu'un survol.
Reconnaissons que l'industrie cinématographique n'est jamais avare de jugements tranchés, de décisions arbitraires et d'arguments spécieux. Quand nous écoutons maintes compositions écrites par des femmes, il ne peut que nous sauter aux yeux, que leur talent, leur faconde, n'a rien à envier à celle des hommes. Aussi, les maîtres mots semblent-il être, la frilosité ou le manque de courage !
Loin de moi, l'idée de condamner ou blâmer une forme de pensée, cette image de la société traditionnellement masculine ; néanmoins à envisager les contraintes inhérentes aux productions actuelles, celles notamment rencontrées par le milieu de la musique de film, il apparaît comme une évidence que cette partie-ci est loin d'être gagnée. Sous-exploitée, la musique composée par des femmes reste encore presque anecdotique à l'heure d'aujourd'hui et il est rare de les voir au premier plan et quand on sait de plus à quel point les producteurs estiment peu la musique.
Et pourtant il nous suffira de nous pencher sur l'histoire pour vérifier combien les femmes ont été présentes dans la musique, de muses et inspiratrices à ambassadrices en passant par compositrices. De Claude Arrieu, (compositrice française), à Lili Boulanger (compositrice française), Anne Dudley (compositrice anglaise), Rolande Falcinelli, (musicienne française, organiste et compositrice), en passant par les inévitables muses que sont Alma Mahler (peintre, musicienne et compositrice, épouse de Gustav Mahler), Fanny Mendelssohn (compositrice et pianiste allemande, soeur de Felix Mendelssohn), Clara Schumann, pianiste et compositrice allemande (épouse de Robert Schumann) et jusqu'à Laurie Spiegel (compositrice américaine), Germaine Tailleferre, (compositrice française), Pauline Viardot (cantatrice et compositrice française) et tellement d'autres.
Et aujourd'hui il faut compter avec des personnalités touchantes et talentueuses comme Florencia Di Concilio qui nous a récemment charmés avec son superbe Calamity ou avant avec Dark Blood ; ou bien encore avec la non moins talentueuse Anne-Sophie Versnaeyen et ses récentes compositions pour La Belle Epoque, Chambord, Requiem pour une Tueuse...
Alors devoir reconnaître qu'en deux-mille vingt et un, dans ce second millénaire qui aurait du voir tant de choses nouvelles arriver ; la norme puisse être encore "l'usage", la "facilité", nous paraîtra quelque peu dommage. Dommage pour ce monde, dommage pour ce que nous en faisons et où ces mêmes vieilles recettes semblent devoir encore et toujours nous être présentées !
Une partie de ce texte figure dans l'introduction que j'ai rédigée à l'époque (en 2017) pour mon second ouvrage portant sur la musique de films ; c'était un coup de coeur, ou une forme de rébellion contre un système aberrant et aveugle, que la fréquentations de certaines grandes institutions n'aura malheureusement fait que souligner encore et encore. Il s'agit de l'ouvrage ; Musiques de Films fantastiques et de Science-Fiction, les compositeurs de A à M aux éditions Camion Blanc, qui est référencé un peu partout. Je l'ai légèrement remanié pour l'occasion.
Sylvain Ménard, février 2021