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L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE & LA CRÉATION ; LE COUP DE GUEULE DE LA RÉDACTION
26 avril 2023 à 23h00
L’IA est un projet, une perspective ; dont nous sommes bien loin de percevoir à l’heure d’aujourd’hui toutes les ramifications. Ceci étant dit, que ce soient les journalistes ou les professionnels de la communication, de l’informatique et autres, bien peu d’entre eux ont même seulement réfléchi à l’utilisation du mot « intelligence », tant il est galvaudé ! Si l’on débat encore pour définir avec exactitude ce que l’on peut nommer ’Intelligence’, et si l’humain reste l’unique référence ; par définition, l’intelligence requiert la compréhension, celle de ce que l’on est, et surtout requiert la capacité de savoir apprendre et raisonner. Aussi au-delà de ce coup de « plume », plutôt qu’un coup de gueule, faisons un petit détour pour tenter d’y voir plus clair.
Commençons par évoquer la conception musicale si vous voulez bien, une des grandes craintes qui ressurgit au fil des informations et des articles depuis peu. Il y a déjà plus de trente ans, des logiciels divers ont permis de composer d’une façon différente. Là c’était la mise en commun de systèmes (car ils ne sont que ça) qui répondaient à diverses problématiques, comme celles de remplacer certains types de développements, liés à l’orchestration, à l’ornementation ; ou plus prosaïquement dans le cas de premières soumissions, permettaient de se faire une idée bien plus précise qu’avec un seul accompagnement au piano. Il s’agissait d’outils… et un outil est ‘manipulé’ par son utilisateur.
Mais une fois encore, les machines n’étaient que des machines dont on sait pertinemment qu’il fallait les programmer ou intervenir directement (les noms existent, vous les connaissez, programmateurs, ingénieur son, étalonneurs…). Mais dans ce monde qui court plus vite qu’il ne faudrait vers un avenir encore non défini, revient de plus en plus ce terme d’IA.
Or si l’on s’en tient aux déclarations avisées de personnes compétentes, et à sa propre observation, il n’existe pas encore de systèmes autonomes, ce que doit être l’intelligence artificielle. Nous sommes toujours sur des systèmes asservis, que l’on doit programmer. L’exemple est simple ; demandez à votre ordinateur, de créer une image de ce que vous voulez, demandez-lui d’écrire une phrase de musique, une page d’un roman ! Il ne sait pas faire, et ce ne sera pas un logiciel qui va le faire pour lui. Il faut définir ce qu’on souhaite, indiquer les champs d’expertise (lui dire qu’il doit faire appel à telle capacité) qui permettront de réaliser cette création ; et programmer le tout.
Personne n’a encore « conversé » avec un système (pour éviter le mot ‘ordinateur’), et lui a simplement demandé : fais-moi ça !
Quand les anglo-saxons ont testé leur fameuse IA en lui faisant ingurgiter des bibliothèques entières de romans, essais et autres ; le résultat a été la ‘rédaction’ d’un ouvrage « à la façon de… » !
Ce n’était ni une création, ni une conception pure, juste un re-paramétrage de données, une histoire d’adaptabilité au final, toute chose que sait plus ou moins faire votre ordinateur aujourd’hui. Ce qu’on nomme trop souvent IA, n’est qu’un algorithme basique, qui sait intégrer, lire et s’adapter. Ce n’est guère mieux que le traducteur Google qui s’adapte à son utilisateur, simplement en fonction des récurrences et des phrases qu’il est amené à traduire dans un sens ou dans l’autre ! (Sinon il n’apprendrait pas).
Le livre « 1 The Road », s’avère aussi inconsistant et indigeste (selon les dires de ceux qui y ont eu accès et quelques extraits…), sorte de road-trip qui se déroule comme on déroule une carte, mais sans finalité, ni âme !
La phrase, concernant ce roman, qui suit, est d’ailleurs révélatrice : « Le logiciel avait au préalable « appris » à écrire après avoir analysé 200 œuvres de la littérature anglophone ». On parle bien de « copie » dans ce cas ?
Et depuis quand apprend-on à écrire de la littérature. On sait que le cours Florent n’est valable pour les acteurs en devenir, que dès lors qu’ils jouent et ont cette envie. Les académies et écoles d’Art n’existent que pour ceux qui ont cette « touche », cette capacité. La littérature - certes s’apprend - en lisant, en y prenant goût, en découvrant les arts. Mais derrière tout cela demeure la vraie réalité de la compréhension, de la faculté à éprouver quelque chose, le plaisir de lire, le bonheur d’une phrase bien tournée, d’une péripétie qui nous ravit !
Et l’IA en est bien incapable aujourd’hui ; nous en sommes très loin.
En fait - et l’analogie est intéressante - on en revient aux années quatre-vingt-dix, quand les logiciels d’Adobe, Illustrator et Photoshop sont sortis ; et qu’on a entendu : avec ces logiciels, vous pourrez dessiner comme un véritable dessinateur ! Et bien, non, il n’y a jamais eu autant d’infographistes ou d’illustrateurs mauvais et sans talent que grâce à ces logiciels. Et dieu merci, les bons, voire les très bons, ne s’en sont servis que comme ce qu’ils sont ; des outils !
Il en va de même pour ces IA que l’on vous vend à tout bout de champ. Il n’y a rien qui permette de dire que les Intelligences Artificielles nous mettent en péril ou remplacent la créativité humaine - et c’est prouvé de par notre évolution technologique (il n’y a pas d’IA au sens strict), mais également de par la dimension « philosophique, spirituelle ou simplement humaine » de nos capacités, celles que l’on a de créer, d’éprouver et de faire ressentir aux autres, tout en étant conscients de ce fait.
Le problème reste l’éthique, comme on a pu le voir avec le cas de GPT-3 (de la start-up OpenAI) qui en ingurgitant des tonnes de données, a ressorti également des préceptes erronés ainsi que des concepts dérangeants ; tout simplement parce que l’IA, ou ce qui en tient lieu, ne sait pas juger ni jauger, ni doser et encore moins anticiper. On en revient à la question de l’apprentissage qui prend du temps et que l’humain ne peut intégrer qu’au fil de sa vie (n’apprenons-nous pas tous les jours ?). Et par voie de conséquence, à l’intuition, et ne parlez pas de systèmes intuitifs, même le jeu vidéo le plus sophistiqué n’est capable que de ce qu’on lui a intégré comme informations.
Et on fera l’impasse sur ChatGPT, considéré par certains illuminés comme l’avenir… Quid alors du travail et du talent… ? Du temps qu’il faut pour écrire un article (comme celui que vous lisez actuellement), de l’empathie par rapport au sujet… De l’intelligence et du goût !
N’est pas qui veut un Stephen King, Howard Phillip Lovecraft, Zola, Jack London, Sir Arthur Conan Doyle, Marion Zimmer Bradley, Lois McMaster Bujold, Jules Verne… autant d’exemples, tellement d’exemples !
Et ne parlons pas de la musique, où nous sommes confrontés aux pires créations, du mauvais goût assumé par l’entièreté d’une génération qui par paresse et manque de culture idolâtre les plus criantes contrefaçons de créations, issues de YouTube et des ordinateurs de tripatouilleurs paumés, et je n’ai rien contre les tripatouilleurs, certains ont du génie !
Vous pensez que ces gens peuvent être détrônés par de vulgaires systèmes ? Un Ravel, un Debussy, Un Mozart, … tant et tant… sans compter les modernes, contemporains ; Goldsmith, Goldenthal, Takemitsu, Sakamoto, et tant de noms et de créateurs.
Vous pensez qu’un système serait à même d’écrire de la musique concrète comme un Pierre Henry (et ses tambours de machine à laver) ?
Et les autres… Annie Lenox, les Depeche Mode, les Rolling Stones, Paul McCartney, Michael Jackson, Les Beatles !
Vous imaginez une seule seconde une IA (de celles dont on nous parle) capable de seulement frôler au génie qui a initié telle chanson, telle musique, telle conception sonore ?
Les journalistes et « spécialistes » de l’IA nous parlent de création, moi je vous parle de « vie », cette vie avec ses influences et ses matérialisations souveraines ! « Souveraines » parce qu’issues de nos psychés, de nos vies passées et de nos espoirs quant à l’avenir, de ce que nous en retirons et sommes alors capables de matérialiser au travers de nos ouvrages qu’ils soient littéraires, graphiques, conceptuels, architecturaux, musicaux… ! Cette création-là est celle d’individus.
Or l’IA n’est pas individuelle et encore moins autonome, elle n’est que la résultante de recherches collectives qui par le biais d’outils tentent d’offrir des solutions pour satisfaire un plus grand nombre… n’en déplaise aux puristes.
Et de là à dire que ce n’est qu’un nivelage de plus par le bas !… car exit le créateur, le penseur ; bienvenu à l’informaticien et à un monde d’où l’homme deviendra absent.
Et nous nous rendons compte que ce recours permanent au terme d’Intelligence Artificielle - parce qu’il faut faire de l’audience, employer les mots actuels, vendre et rentrer dans le moule - méconnait totalement le sujet dans ce qu’il a de fondamental, dans ce qu’il a d’humain. L’intelligence est le fait des êtres pensants et biologiques… pas encore celui de machines.
Elles ne pensent ni ne comprennent, et peuvent au mieux apprendre, dans la mesure ou leur interface (l’humain) prend la mesure de ses propres limites, ses propres expériences, sa propre culture.
Nous avons constaté que ce que l’on nomme IA est curieusement souvent mise en relation avec ce qui relève des arts (rarement dans une télé réalité pitoyable à la télévision… quoique ça pourrait être drôle), ce qui motive d’autant plus cette tribune ; tant l’Art est souvent visé par les restrictions, les décisions aberrantes et que dans l’art, la culture est prépondérante et bien mal mise en valeur.
Alors non, il n’y a pas aujourd’hui d’IA… que des systèmes qui tentent de pallier à différentes lacunes sans pour autant transcender la création. Ceux qui invoquent des systèmes qui restent liés par définition aux activités humaines, ne disent pas que lesdits systèmes ne savent pas s’affranchir de leurs contraintes et surtout ne savent pas être autonomes, leur « intelligence » étant basé sur la copie servile, sans l’étincelle de l’âme…
La création est un acte de pure volonté… Ce que l’on nous présente comme des IA ne créent pas puisqu’elles ne sont pas capables de penser de manière autonome, se cantonnant à des taches qui ont été programmées.
Nous rêvons tous d’une IA, mais les seuls exemples qui pour ma part me viennent à l’esprit, sont ceux de mes lectures et de quelques films - et nous n’y sommes pas !
Sylvain Ménard, avril 2023
(l’illustration de l’article a été réalisé sous la forme d’un photomontage réalisé avec Photoshop CS6 par votre serviteur. Un peu de recherche, de créativité et d’intuition.)