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INTERVIEW DE SIMONE BITTON, RÉALISATRICE DU FILM DOCUMENTAIRE ZIYARA - en salles le 1er décembre 2021

30 novembre 2021 - 17:15
Le film ZIYARA sort sur les écrans ce mercredi 1er décembre ! Nous avons eu le plaisir d’interviewer Simone BITTON, pour son beau documentaire ; en voici l’intégralité. Nous vous invitons à lire (ou relire) l’article publié début novembre…
• Bonjour Simone Bitton et merci de vous prêter pour Cinémaradio au jeu des questions & Réponses…
Votre engagement pour ‘éclairer’ les relations entre juifs et arabes semble ne jamais vouloir s’éteindre. Votre superbe documentaire ZIYARA apporte une pierre de plus à cet édifice, pourquoi ce film, sur ce sujet précis ?
Simone Bitton : Chacun de mes films raconte une autre histoire et mes films sont aussi très différents dans leur forme , mais il est vrai que je suis hantée par cette relation que je porte en moi-même. Ma propre identité de juive arabe est pour moi un réservoir sans fond d’idées, d’émotions, de révoltes et d’engagements.
Je suis née au Maroc en 1955, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 11 ans , et j’ai commencé à y revenir de plus en plus souvent à partir des années 90. Certains paysages de Ziyara sont ceux de mon paysage d’enfance. L’idée du film est venue lorsque j’ai lu chez des anthropologues qu’il y avait plus de 650 saints juifs répertoriés au Maroc, et parmi eux plus de 150 saints partagés, c’est à dire vénérés a la fois par les juifs et par les musulmans. Cela m’a beaucoup intéressée et j’ai commencé à faire des repérages, à visiter des lieux. J’ai été bouleversée par ma rencontre avec des gardiens musulmans de sanctuaires, de cimetières et de synagogues. Ce sont pour la plupart des personnes très croyantes, humbles et modestes, des musulmans absolument sincères dans leur rapport à la sacralité des lieux juifs dont ils ont souvent reçu la charge en héritage familial. A ce moment là, j’ai décidé de faire un road movie où j’irai à la rencontre de celles et ceux que j’appelle « les gardiens musulmans de ma mémoire juive », et d’en faire les héros du film.
• En vous écoutant, vous et les nombreux intervenants ; on ne peut s’empêcher de penser : mais quel gâchis ! Pourtant il n’y a nul jugement, et c’est assez étonnant de voir cette chose émerger, un regret sincère ! Comment expliquez-vous cela ?
Simone Bitton : Le Maroc a commencé à perdre ses juifs quelques années avant son indépendance, au moment même où juifs et musulmans allaient pouvoir devenir des citoyens égaux en droits et en devoirs dans un pays libéré du colonialisme. On peut le regretter, car les juifs auraient pu contribuer grandement à l’entrée du pays dans la modernité. Les premieres guerres israélo-arabes en ont décidé autrement. Les juifs marocains n’ont pas été chassés, comme ils l’ont été d’autres pays arabes mais ils se sont sentis étrangers et tout n’a pas été fait pour les retenir. Ce rendez-vous raté, un véritable gâchis commun à tout le monde arabe, n’en finit pas d’avoir des répercussions tragiques. Mais si le déchirement des juifs du monde arabe a souvent été traité en littérature et dans des films de toutes sorte, le traumatisme et les regrets de ceux que nous avons laissé derrière nous a rarement été exprimé. C’est tout l’objet de ZIYARA que de recueillir ce sentiment de perte et de regret des musulmans. Je crois que ce sentiment existe aussi dans d’autres pays arabes, mais au Maroc il est particulièrement fort et il est intégré au récit officiel national qui s’est développé au cours des dernières décennies. IL s’exprime donc librement et sans crainte. Personellement je ne trouve pas cela étonnant. C’est l’état effroyable actuel des relations entre juifs et Arabes qui fait paraître cela étonnant. On s’est habitués à penser qu’ils se tapent dessus et se haïssent depuis toujours, alors que cette animosité est récente et doit beaucoup au conflit israélo-palestinien. Avant cela il y a certes eu des périodes de tension, certains épisodes de violence sporadique, mais l’expérience juive marocaine n’a rien à voir avec la longue histoire de massacres et de discriminations qui fut le lot du judaïsme européen, et qui a culminé avec le génocide nazi.
• Lorsque que l’on prend la mesure des similitudes entre les religions monothéistes, on se dit que votre éclairage arrive à un moment opportun ; soulignant la dimension ‘humaniste’ et ‘universelle’, qui est l’essence même de la relation avec l’autre !
Simone Bitton : Il y a eu, et il y a encore au Maroc une vraie proximité, une fraternité réelle et une symbiose culturelle entre juifs et musulmans dont l’existence de saints partagés m’a semblé être un beau symbole. Mais le culte de certains saints est certainement antérieur au monothéisme, L’un des personnages du film m’explique, devant une source où femmes juives et musulmanes venaient implorer un saint commun , que ce sont des croyances populaires et qu’elle ne font pas partie de la religion. Ces croyances anciennes se font dans la communion avec la nature et les Marocains sont de grands champions en sorcellerie et superstitions diverses. Dans chaque souk vous trouverez des droguistes qui vous vendront une poudre magique répondant à chaque besoin de la vie ! Depuis le départ des juifs de nouvelles croyances se sont même développées selon lesquelles l’esprit des juifs prodigue la baraka et il n’est pas rare que des paysannes se faufilent dans les cimetières juifs pour y recevoir la bénédiction des rabbins qui y sont enterrés. Je ne suis pas une spécialiste de ces coutumes, des universitaires en parleraient mieux que moi, mais j’en retiens effectivement l’expression d’un humanisme qui transcende les identités étroites . Nos identités sont en constant métissage, elles ne s’excluent pas l’une l’autre. En ce sens, mon film peut être lu comme une parabole qui vaut aussi pour la France actuelle. Je suis effarée par les idéologies malsaines qui s’y répandent actuellement et donc, oui, vous avez raison, cet éclairage tombe à un moment opportun. Ce que je raconte et montre dans Ziyara, c’est un geste symbolique de refus de toute cette xénophobie ambiante qui me consterne.
Nous nous quitterons sur ces mots, et alors que le film sortira le 1er décembre - à quelques semaines de noël, faut-il le rappeler - il ne nous aura jamais semblé aussi important d’écouter les autres et de relayer des discours apaisants et sensibles. Alors que la pandémie avec ses cortèges de problèmes, d’incompréhension, de craintes et de morts qui ont endeuillées l’humanité, s'est ajoutée à la cacophonie ambiante, celle de ce début de millénaire extrêmement perturbé ; ce documentaire est une belle preuve d’humanité et d’espoir en une meilleure compréhension entre les humains.
Sylvain Ménard, novembre 2021