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Remettant au goût du jour un tournage quasiment en direct avec des effets spéciaux de plateaux (plutôt que réalisés en post-production), le jeune réalisateur rend un bel hommage à un cinéma de genre qui semblerait tout droit sorti de ce cinéma des années 80, jouant avec ses décors naturels, nous perdant dans ses couloirs et ses boyaux de mines, ajoutant à sa trame scénaristique le réalisme des lieux.
Pour ajouter à cette dimension où la crédibilité reste primordiale, le film s’offre un casting assez irréprochable et très révélateur de la volonté du réalisateur et de la production d’offrir de vrais portraits assez loin de nos ‘horizons’ habituels. Ainsi y retrouvons nous un Samuel Le Bihan comme à son habitude irréprochable, un étonnant Jean-Hugues Anglade à contre emploi et méconnaissable, et toute une palette de seconds rôles très justes et bien campés, avec une mention particulière à Bruno Sanches, Amir El Kacem et Marc Riso.
A mi chemin entre le film d’aventure et d’horreur, Gueules Noires va nous inviter à nous immerger dans un univers où tout peut arriver, conjuguant l’angoisse, la peur de l’inconnu, respectant en cela les schémas du film d’horreur ; mais tout en portant une grande attention à l’humanité de ses personnages, et ce, comme évoqué précédemment, grâce à un casting excellent.
Bénéficiant d’un beau score composé par Olivier Derivière, Gueules Noires est un des rares films à privilégier une dimension musicale et sonore spécifique, faisant profiter le métrage d’une présence réelle et de sonorités enregistrés pour l’occasion.
Évoquant comme références des compositeurs tels Williams, Silvestri, Goldsmith, Serra ou Zimmer, Olivier Derivière met la barre de fait assez haute, mais à l’écoute de sa musique on se sent emporté et rassuré par ce qu’il a écrit. Très mélodique, portée par un ensemble laissant la part belle aux instruments, sa bande-originale est une très belle découverte, et est disponible en streaming sur internet.
Si le film ne souffre pas de temps morts, bénéficiant d’une très belle photo et d’un travail sur la lumière qui profite à des décors superbes, dont une grand partie ‘naturels’ rappelons-le, il pâtit à contrario du design offert à l’entité maléfique - le sujet central du film - pourtant développée et conçue par d’excellents professionnels, un design trop mécanique et renvoyant à quelque théâtralisation bizarre. De fait le concept de l’entité - une entité échappée du bestiaire Lovecraftien (et il s’agit une excellente trouvaille) comme nous le révèle le personnage incarné par Jean-Hugues Anglade, loin d’avoir fait appel au numérique, est un personnage à part entière crée en animatronique, mais dont l’apparence avec sa double paire de bras s’avère un peu gênante lors des déplacements et de ses interactions avec les acteurs.
C’est là le problème de ce film qui au demeurant est réellement bon, mais dont ce personnage ‘horrifique’ s’avère être caricatural, avec ses longs doigts osseux, son corps mince et désarticulé, ses membres trop nombreux ; tout ceci concourant à créer une belle animatronique, mais complexe dans ses mouvements, et trop proche de la gestuelle d’une marionnette !
Cette créature illustrant ce récit à la Lovecraft, semble surgir des peintures de Hans Ruedi Giger, avec ses tonalités claires et organiques, ses touches plus sombres et cette structure osseuse oscillant entre squelette et chose d’un autre monde… Elle s’inspire du travail du japonais YONEYAMA KEISUKE et de son œuvre intitulée Neo ParaNoize.
Dommage sans doute vous direz-vous ? Pas forcément… Parce que l’ambiance du film, le jeu d’acteurs, sa musique… ; tout concoure à en faire un spectacle digne de ce nom. Ensuite parce sur un tel film, avec autant d’envie, de talent et de plaisir à faire partager, et qu’on ressent, on peut faire abstraction des quelques scènes un peu gênantes, où l’on voit se déplacer l’entité.
Considérons également les choses autrement, encore plus puisqu’on parle de cinéma de genre, si peu prisé par les producteurs français ! Les films qui osent se tourner vers l’œuvre de Lovecraft sont déjà si rares, et plus rares encore ceux qui offrent une adaptation respectueuse, sans se laisser aller au grand-guignol et au gore.
Et ici son univers est, dans ce film, très bien rendu et très concret, jouant avec nos perceptions, nous immergeant peu à peu dans cet indicible si cher au maître de l’horreur.
On imagine aisément que Mathieu Turi est un admirateur de l’œuvre de H.P. Lovecraft, et si dans ce film au demeurant réussi, il a eu quelques soucis avec sa créature, souhaitons-lui qu’il s’affranchisse de ce type de problème, et espérons le revoir sur d’autres productions aussi inspirées !
Alors, allez voir ce film qui dénote dans la production hexagonale, loin des slashers et films d’angoisse classiques ; Gueules Noires mérite toute votre attention.
SYNOPSIS : 1956, dans le nord de la France. Une bande de mineurs de fond se voit obligée de conduire un professeur faire des prélèvements à mille mètres sous terre. Après un éboulement qui les empêche de remonter, ils découvrent une crypte d’un autre temps, et réveillent sans le savoir quelque chose qui aurait dû rester endormi…
Technique
Gueules noires
Réalisation et scénario : Mathieu Turi
Musique : Olivier Derivière
Décors : Marc Thiébault
Costumes : Agnès Noden
Photographie : Alain Duplantier
Montage : Joël Jacovella
Coproducteur : Alexis Loizon
Sociétés de production : Fulltime Studio et Marcel Films
Société de distribution : Alba Films (France)
Durée : 103 minutes
Casting
Samuel Le Bihan : Roland
Amir El Kacem : Amir
Thomas Solivérès : Louis
Jean-Hugues Anglade : Berthier
Diego Martín : Miguel
Marc Riso : Polo
Bruno Sanches : Santini
Sylvain Ménard, novembre 2023
Crédits photos : © 2023 – Full Time Studios et Marcel Films