Se connecter
FUNAMBULES, le film D’Ilan Klipper, entre observation et déambulation poétique…
16 mars 2022 à 18h50
Parler de la folie et de l’apparence qu’elle peut prendre est un sujet troublant, encore plus lorsque les protagonistes du film documentaire FUNAMBULES leur donne la parole, nous offrant alors ces images qui deviennent décalées, drôles ou dramatiques ; soulignant leurs personnalités aussi diverses que contrastées.
La mise en avant de ces personnes, qui nous parlent et « parlent à la caméra » ; est une façon éminemment directe de les percevoir et d’essayer de les comprendre. Les faire jouer leur rôle, les faire interpréter des personnages sur la corde raide, avec leur maladie et leur réalité, mais également avec leur richesse intérieure et leur fragilité ; apporte au film une dimension où l’authenticité s’ajoute à la complexité de leur psyché et de leurs désespoirs.
Prenant par instant les allures d’une étude psychiatrique, puis se laissant aller à des confidences quasi intimes et des réflexions sur les façons d’aider les malades, sans les juger et surtout en les acceptant ; FUNAMBULES s’avère d’une richesse insoupçonnée, nous permettant de rencontrer Aude, Yoan, Marcus ou Jean-François. Entre poésie des moments délicats comme ceux vécus avec Aude et ses incessants questionnements, sa recherche d’une âme sœur, ses besoins et ses passions ; ceux plus ‘bruts’ vécus au travers des souvenirs de Yoan, personnage d’une grande richesse et au verbe haut, résidant dans un établissement psychiatrique ; Marcus, accumulateur compulsif vivant quasiment cloitré, souffrant d’un trouble de la personnalité antisociale ; et Jean-François perdu et refusant toute aide, se réfugiant dans ses souvenirs de danseur ; une alchimie se crée et nous invite à les observer sans arrière pensée, sans préjugés.
Si le film nous présente quelques plans que l’on pourrait percevoir comme étant furtifs, si ce n’est relevant du voyeurisme, cadrés comme si la caméra allait être de trop, essayant soudain de capter comme une part d’inconnu, l’essence de leur maladie ; il demeure respectueux de ces personnes, les laissant exprimer leurs sentiments.
Le titre du film FUNAMBULES, est bien évidemment une allusion à ce moment où déambulant sur la corde raide, nous sommes proches du vide, en sécurité et dans le même instant en péril. C’est cette dimension subtile et complexe qui nous apparait comme la chose la plus importante, celle que souhaitait partager avec nous le réalisateur ; cette capacité que nous avons à vivre avec le meilleur qui est en nous, mais aussi le pire, et surtout quand ce pire prend ces formes si dérangeantes, nous imposant de prendre du recul et de voir avec émotion et sans censures ces personnes.
Se posera également à nous la question de leur bien être, ainsi que celui des personnes qui vivent avec elles, dans ces douloureuses remises en questions, dans ces hauts et ces bas, dans ces réactions logiques et souvent implacables.
Sans être trop cru ou voyeur, Ilan Klipper réussit avec FUNAMBULES à effleurer un sujet brûlant et toujours actuel, qui par le biais de ces individualités diverses nous invite à nous questionner sur nos propres failles et nos capacités à surmonter les épreuves quand elles ne mettent pas en lumière nos propres imperfections. De portraits osés et sincères, à ces esquisses de déambulations quasiment poétiques vers la fin - le cinéma d’avant guerre n’est pas si loin - FUNAMBULES est un film difficile et parfois sombre, qui nous touchera sans doute parce que nous aussi nous sommes sur cette corde raide !
FUNAMBULES de Ilan Klipper (France, 2020, 75 min) Bande-annonce
Synopsis : Personne ne sait de quoi est faite la frontière qui nous sépare de la folie. Personne ne sait jusqu’à quel point elle résiste. Aube, Yoan, Marcus, eux, ont franchi le seuil. Ils vivent de l’autre côté du miroir.
Sylvain Ménard, mars 2022