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‘CHIEN BLANC’ de la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette sort le 22 mai : Attention c'est un petit chef d'œuvre

16 mai 2024 - 10:00
Avec 'CHIEN BLANC', Anaïs Barbeau-Lavalette s’attaque à l’histoire américaine, une histoire récente et marquante, adaptant le roman autobiographique de Romain Gary, alors que ce dernier, ambassadeur de France aux États Unis, accompagné de son épouse l’actrice Jean Seberg vivent au jour le jour, au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King.
On avait eu le plaisir de chroniquer en octobre 2021 le film ‘LA DÉESSE DES MOUCHES À FEU’ de la réalisatrice. Nous voila de nouveau avec une certaine impatience, prêt à vous parler de son nouveau film qui sortira ce 22 mai.
Pour ceux qui on lu le roman, vu le film de Samuel Fuller (Dressé pour tuer, 1982), avec en toile de fond le racisme, les grands mouvements d’opposition aux blancs, la montée de toutes ces formes de violence ; sans doute était-ce se mettre en péril que d’adapter Romain Gary.
Or avec une grande habilité, Anaïs Barbeau-Lavalette brosse le portrait de cette Amérique des années soixante, et pousse sa réflexion afin de la comparer à ces années deux mille à deux mille vingt. Et si la lutte a pris d’autres formes, la violence policière, la ségrégation, n’ont pour leur part jamais cessé d’exister. Ce qui nous apparaît comme un parallèle - et ce qui oppose son métrage à celui de Samuel Fuller qui adapta bien plus librement le roman - est de montrer que bien qu’ayant élu un président noir américain, ouvert la porte à maintes institutions et tenté d’amoindrir les différences, le racisme demeure, l’idéologie suprématiste est de nouveau présente.
S’attardant sur les différences « idéologiques » subtiles entre Romain Gary et Jean Seberg, une position politique et humaniste pour l’un, et une plus floue pour l’actrice, pro Black-Panthers ; la réalisatrice provoque une réflexion quant aux intérêts des uns, l’ambiguïté des autres et sur ces raisons cachées qui en motivent certains.
Profondément subtil, le film cultive une belle élégance esthétique, à l’aide d’une jolie photo qui souligne le propos, celui du discours d’un film historique passionnant et engagé.
Si l’on considère comme une parabole l’histoire de ce chien ‘blanc’, cet animal dressé à seule fin de traquer et attaquer les noirs, son adaptation est excellente, car elle évite les facilités autant scénaristiques qu’historiques, sans raccourcis ni trop de digressions.
L’histoire nous montre l’implication de Romain Gary, sa colère et son indignation, dans ce qui apparaît comme une usure, le ‘ras le bol’ qui le pousse à tout faire pour aider ce chien, l’empêcher d’être abattu ou simplement qu’il ne devienne trop dangereux ; et par corrélation l’engagement du jeune dresseur noir, qui finit par s’attacher au chien, tandis que Jean Seberg s’oppose à son époux, comme si elle soulignait la non validité de son intervention.
Or entre l’altruisme pur, les raisons plus ou moins nobles, le détachement qu’on perçoit et qui devient nécessaire tant la violence prend une tournure dramatique (les images d’archives) ; et la raison (toute simple), qui pousse un homme et un autre à vouloir comprendre les choses - par le parallèle du chien blanc - et à essayer de se comprendre ; c’est sans doute là toute la force du film que de nous montrer ces tentatives qui ne doivent pas rester vaines.
Et pourtant la réalisatrice semble montrer avec ce film, comme l’impossibilité de réussir à faire la paix, quand ne demeure comme discours et seule rhétorique, la différence, la haine et l’exclusion. Nous avons récemment constaté cet état de fait dans divers métrages et documentaires - particulièrement visible aux États-Unis - qui fait que les gens créent leur propre ghetto, refusant d’aller vers les autres.
Nous soulignerons l’importance que prennent les images d’archives (pourtant très discrètes dans leur utilisation), des images que nous avons l’impression de n’avoir jamais vues. C’est une vision de déshérence et de déliquescence d’un système qui a pour nom ‘ségrégation’, qu’Anaïs Barbeau-Lavalette porte à notre connaissance avec ce superbe métrage, tout en mettant l’accent sur l’histoire récente, les émeutes, les brutalités policières, le mouvement Black Lives Matter !
Page d’histoire dont l’Amérique seule doit porter la honte - et à ce titre, la réalisatrice réussi son pari de ne pas en faire un vulgaire pamphlet - Chien Blanc est un bel exercice d’équilibre, au traitement jamais outrancier, ne se laissant pas aller au jugement facile ou à la condamnation.
Si les acteurs principaux sont parfaits, de Denis Ménochet dans le rôle de Romain Gary, à celui de Kacey Rohl dans celui de Jean Seberg, sans oublier l’excellent K.C. Collins dans celui de Keys ; les seconds rôles sont tout aussi importants. Mais c’est sans doute le personnage de Keys qui sera celui qui nous a le plus marqué, dans sa relation aux autres, dans sa vision des choses et dans sa lucidité, comme lorsqu’il fait remarquer à Romain Gary que son seul problème c’est la ‘culpabilité’.
Assez curieusement, l’image des policiers tout en noirs et sanglés dans leur tenue, très mince, presque filiformes, et dont on ne voit pas le visage, entre le casque blanc et la visière, est une image tétanisante, quasiment allégorique. Et dans les faits, renverrait à des œuvres comme La Planète des Singes ou à d’autres films comme le fameux THX 1138 de Georges Lucas ; des films qui ont dénoncé chacun, d’une façon ou d’une autre, une forme de ségrégation et de totalitarisme.
Le titre Chien Blanc fait référence aux animaux dressés pour poursuivre les esclaves en fuite, des chiens presque exclusivement élevés dans le sud des États-Unis.
Chien Blanc est un film au scénario sans défaut, porté par des acteurs impressionnants de réalisme ; et c’est surtout un film au sujet qui bien qu’ancré dans sa propre temporalité, celle de l’assassinat de Martin Luther King, est toujours d’une actualité brûlante !
Le film d’un profond humanisme rend justice à l’écrit de Romain Gary, et nous offre à nous, spectateurs du vingt-et-unième siècle, une adaptation sans faille, un métrage aussi rigoureusement respectueux de l’histoire que bouleversant et nécessaire.
Chien Blanc sort le 22 mai.
Synopsis : 1968 - Etats-Unis. Martin Luther King est assassiné et les haines raciales mettent le pays à feu et à sang. Romain Gary et sa femme l’actrice Jean Seberg, qui vivent à Los Angeles, recueillent un chien égaré́, dressé exclusivement pour attaquer les Noirs : un chien blanc. L'écrivain, amoureux des animaux, refuse de le faire euthanasier, au risque de mettre en péril sa relation avec Jean, militante pour les droits civiques et très active au sein des Black Panthers.
Sylvain Ménard, mai 2024
Chien blanc
Réalisation : Anaïs Barbeau-Lavalette
Scénario : Valérie Beaugrand-Champagne et Anaïs Barbeau-Lavalette, d'après le roman Chien blanc de Romain Gary
Musique : Mathieu Charbonneau, Ralph Joseph « Waahli », Christophe Lamarche Ledoux, Maxime Veilleux
Conception artistique : Emmanuel Fréchette
Photographie : Jonathan Decoste
Production : Nicole Robert (Go Films)Casting :
Denis Ménochet : Romain Gary
Kacey Rohl : Jean Seberg
K.C. Collins (en) : Keys
Peter James Bryant (en) : Red
Jhaleil Swaby : Ballard Jones
Chip Chuipka : Jack Carruthers
Laurence Lemaire : Diego Gary
Melissa Toussaint : Nicole
Michaëna Benoit : Jamie
Pascal Tshilambo : Karim
Véronique Verhoeven : Celia
Crédits photo, tous droits réservés, Vivien Gaumand