On imagine le parcours du combattant afin de pouvoir produire, monter puis diffuser ce métrage. De fait, entre l’absence d’aides octroyées par la Turquie, le refus de laisser tourner dans certains endroits, le caractère du métrage - dirons-nous qu’il s’agit d’un « brûlot », d’un « pamphlet » ! - Nehir Tuna n’a pas eu la tache facile.
Filmant sa partie noir et blanc dans une mise en scène que ne renierait pas un Satyajit Ray, le jeune réalisateur turc nous offre la description d’une lente descente dans ce qui ressemble à l’enfer, un enfer issu des profondeurs de l’obscurantisme religieux et de l’embrigadement. Le jeune Ahmet, personnage central du film, va souffrir de l’incompréhension de ceux qui l’entourent, celle de son père, de ses camarades, victime de brimades et d’une violence qui prend une apparence inouïe telle celle de la scène de prière où Ahmet perd le médaillon avec le portrait de sa jeune camarade et où il essaie d’échapper au fouet.
Une incroyable image qui ne fait qu’assombrir ce portrait d’une Turquie à un tournant de son histoire, une Turquie qui abandonne peu à peu toute velléité de rester laïque.
Porté par un jeune acteur assez étonnant, DoÄa KarakaÅ ; le film suit ce cheminement, cet apprentissage qui se partage entre deux univers - l’école privé le jour, l’internat rigoriste le reste du temps - et sert de fil conducteur à cette histoire.
Le dernier tiers du film se teinte enfin de couleurs, mais c’est pour mieux souligner l’inéluctable, car dans ces pensions religieuses tenues par des radicaux, il n’y a plus ni lueur d’indépendance ni de possibilité d’émancipation.
Entre les interdits de tous types, les visions (parfois) tétanisantes de violence perpétrés par les adultes contre ces enfants, Nehir Tuna conclut sa dénonciation de l’absolutisme et de l’embrigadement aveugle et définitif qui a défiguré l’image même de la Turquie.
Turquie, 1996 : Ahmet, 14 ans, est dévasté lorsque ses parents l’envoient dans un pensionnat religieux (Yurt). Pour son père récemment converti, c’est un chemin vers la rédemption et la pureté. Pour lui, c’est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et nationaliste ; le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures d’études coraniques et les brimades. Mais grâce à son amitié avec un autre pensionnaire, Ahmet défie les règles strictes de ce système, qui ne vise qu’à embrigader la jeunesse.
Sylvain Ménard, mars 2024
Récompenses :
Festival International du Film de Marrakech : Prix d'Interprétation Masculine
Mostra de Venise : Sélection Officielle
YURT (Turquie - France I fiction I 1h57)
Distribution :
DoÄa KarakaÅ : Ahmet
Can Bartu Aslan : Hakan
Ozan Çelik : Yakup Hodja
Tansu Biçer : Kerim
Technique :
Scénario : Nehir Tuna
Réalisation : Nehir Tuna
Image : Florent Herry
Son : Mustafa Özyurt
Décors : Abdul Vahhap Ayhan
Costumes : AyÅenur Ünlü
Montage : Ayris Alptekin
Mixage : Simone Weber
Musique : Avi Medina
Producteurs : Tanay Abbasoglu (Tn Yapim), Dotohe Beinemeier (Red Balloon Film), Thierry Lenouvel (Ciné-sud Promotion)