Là réside le problème de la qualification du film et son sujet, dans un genre ou un autre, sans toutefois sortir des entiers battus ; et donc la possibilité qu’a le métrage de nous emporter avec lui, ou de s’inscrire dans un registre plus ou moins connu. Ici le personnage du Joker, incroyablement porté par un Joaquin Phoenix hallucinant, est un simple aller-retour vers la noirceur et l’inéluctabilité des choses. Perdu de par son handicap, paumé dans une ville (celle des années quatre-vingt) en crise, où personne ne parle plus à personne et où seul le pouvoir importe, Joker est le reflet d’une humanité malmenée et d’un homme face à son destin. Car de destin, il est bien question ici… Entre la destinée qui fait de nous des victimes ou des chasseurs et la brutalité de la vie, Joker, poussé par les évènements, devient peu à peu cette créature inclassable, intelligent et sensible (car il l’est), perdu, trahi, brutalisé. Au travers de ce drame humain, ponctué de péripéties relevant notoirement du thriller ou du film noir, Todd Phillips réussit à installer un équilibre certain, une passerelle entre le monde fantasmé du comics américain et un film dans la plus pure tradition américaine. Nous n’aurions presque pas été surpris de voir Al Pacino, Humphrey Bogart ou James Cagney !
S’ajoutera une musique envoutante de Hildur Guðnadóttir, parfait complément aux images magnifiques de Lawrence Sher ; et on aura probablement un futur vainqueur aux Oscars… pour peu que la cérémonie ait une quelconque valeur… on pourra longuement en débattre.
Optant pour des effets léchés mais simple, une mise en image colorée et puissante, Todd Phillips déambule avec sa caméra dans les rues du Bronx, la positionne aux bas de marches dont on ne saurait ignorer le caractère abrupte et vertigineux… est-ce d’ailleurs là une petite référence à Eisenstein et au Cuirassé Potemkine !? Marches du destin, épreuve initiatique… ou n’est-ce tout simplement que la route que chacun emprunte et qui nous définit ?
Magnifique objet habité par ses interprètes, réflexion et philosophie semblent s’y mêler à part égale offrant ainsi au métrage une portée et des axes de réflexions qui en surprendront plus d’un. Fort curieusement sa « violence » a été critiquée, mais il s’agit pourtant d’un film qui en regard de nombre de métrages récents abordant des sujets similaires, par le biais de thrillers ou polars, est d’une grande retenue.
Joker est un film à voir, à décanter, et à digérer dans un contexte global, où l’on s’apercevra que ce que le film montre est bien présent, ; que la violence est souvent dans les gestes simples, un regard, une mise à l’écart ; et que rien n’y est finalement exagéré.
Film actuel ancré dans une réalité parfois sombre et souvent désespérée il vous interpellera. Alors film de vilain (qu’il soit « super » ou pas) ou film de gangster… chacun y puisera ce qu’il souhaite !
Réalisation : Todd Phillips
Scénario : Todd Phillips et Scott Silver
Décors : Mark Friedberg
Costumes : Mark Bridges
Photographie : Lawrence Sher
Montage : Jeff Groth
Musique : Hildur Guðnadóttir
Production : Todd Phillips, Bradley Cooper et Emma Tillinger Koskoff
Distribution :
Joaquin Phoenix : Arthur Fleck / Le Joker
Robert De Niro : Murray Franklin
Zazie Beetz : Sophie Dumond
Frances Conroy : Penny Fleck
Brett Cullen : Thomas Wayne
Shea Whigham : l'inspecteur Burke
Bill Camp : l'inspecteur Garrity
Douglas Hodge : Alfred Pennyworth
Dante Pereira-Olson : Bruce Wayne
Carrie Louise Putrello : Martha Wayne
Sylvain Ménard, octobre 2019