Se connecter
KUESSIPAN, une histoire d’amitié et de drame, doublée d’une réflexion sur notre monde… INTERVIEW DE MYRIAM VERREAULT
07 juillet 2021 à 09h45
Il y a quelque temps nous avons pu nous entretenir avec la réalisatrice du très beau KUESSIPAN, Myriam Verreault ; à l'occasion de sa sortie en salle ce mercredi 7 juillet, nous vous livrons cet entretien !
Tout d’abord un grand merci à Myriam Verreault qui s’est prêtée bien volontiers (et à quelques milliers de kilomètres) au jeu des Questions & Réponses pour CinémaRadio. Sur un sujet plutôt large, nous faisant partager la vie au sein de la communauté amérindienne Innue, la réalisatrice Myriam Verreault nous invite à une immersion dans cette jeunesse désenchantée, un peu perdue, à la recherche d’identité et de reconnaissance. D’une belle intensité, le film recèle divers messages qui nous parleront de mondialisme, de respect des traditions, de quête de soi et de la difficulté « à être », tout simplement ; et ce quel que soit l’endroit d’où nous venons. Entre évocation du passage de l'adolescence à l’âge adulte et réflexion politique, bien mis en scène et joliment interprété, le film saura nous toucher, et malgré les différences culturelles (ou peut être à cause d’elles justement) nous paraîtra d’une grande évidence avec ce discours finalement universel. Sur fond d’histoire d’amitié, KUESSIPAN nous transporte et ce faisant nous fait nous interroger sur nos vies et nos aspirations… au jour d’aujourd’hui, ça ne peut pas faire de mal !
• Pourquoi ce sujet vous tenait-il à cœur ? Le film résonne en chacun de nous sur cette volonté d’uniformisation de nos sociétés… la mondialisation aussi… C’est une réflexion « universelle » au sens très large !
Myriam Verreault : Il y a plusieurs raisons. Elles sont surtout de coeur, car je me suis attachée rapidement à cette communauté après l'avoir visitée il y a quelques années. Je trouvais que ces gens méritaient d'être montrés comme ils sont, sans clichés, sans les mettre sur un piédestal. Simplement comme des humains qui ressemblent à des humains. Ma propre méconnaissance des Premières nations m'a amenée à être curieuse. Qui sont-ils ? Quelle est notre relation (les Québécois) avec eux ? Je crois fermement à l'importance de la préservation de la diversité culturelle, mais je me méfie aussi du protectionnisme et du nationalisme. Je voyais-là un vaste sujet à creuser !
• Votre film est un vigoureux et sincère appel à la différence, souvent ce qu’on nomme la quête d’identité ! Vous avez voulu faire un film optimiste ? Cet optimisme était-il déjà présent dans le livre de Naomi Fontaine ? Alors que le monde va mal et que pour beaucoup le réflexe est de se replier sur eux-mêmes, vous ouvrez énormément de portes, vous nous montrez que la vie est complexe, dense, et que demain n’est pas si noir que ça !
Myriam Verreault : Oui l'optimisme est dans le livre de Naomi Fontaine. Elle appartient à une génération d'Innus qui n'a pas connu les pensionnats ni ses abus. Ils ont plutôt vu leurs parents et leurs grands-parents souffrir de leurs souvenirs et ils ont une volonté d'éveil culturel. Cela fonctionne et fait en sorte que ces communautés sont sorties peu à peu de l'invisibilité ici. Ils ont toutes les raisons du monde d'être optimistes. Ils ont survécu à des tragédies indescriptibles au plan collectif, ils peuvent se dire que le pire est derrière eux. Le colonialisme est certes toujours présent, mais la majorité dominante est de plus en plus sensibilisée à leur existence et à leurs revendications.
• Vous abordez énormément de sujets à travers le « sujet principal », un peu comme des poupées gigognes : la quête de l’autonomie, le passage à l’âge adulte avec sa cohorte d’erreurs et de renonciation mais aussi un vrai souffle d’envies, de besoins et d’attentes légitimes. Etait-ce compliqué d’arriver à tout évoquer dans le film sans perdre un instant le spectateur et en garder de l’empathie pour les personnages ou est-ce que cela vous a paru naturel ?
Myriam Verreault : Pour moi, cela n'était pas une difficulté, car le film tourne autour de ces thématiques naturellement. Les personnages incarnent ces sujets authentiquement. Les gens qui ont inspiré les personnages exprimaient déjà ces enjeux. J'ai trouvé simple de les transposer en fiction. Je crois que si j'avais voulu passer des messages, cela aurait pu être difficile. Mais le film questionne, il ne donne pas de réponses.
• Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ? Avaient-ils une certaine liberté d’improvisation ou au contraire est-ce que tout était très écrit ? Avez-vous beaucoup répété ou plutôt saisi des fulgurances uniques ?
Myriam Verreault : Un peu des deux. Je voulais donner l'impression d'improvisation dans les dialogues, que ce soit quasi-documentaire comme rendu. Mais le scénario a pris 4 ans d'écriture, car la phase de financement a été très ardue. On a dû réécrire le scénario maintes et maintes fois. Le texte est devenu hyper précis au final. Je tentais de trouver une façon d'improviser sur le plateau, mais les acteurs revenaient toujours au texte. Tout ce qu'ils avaient envie de dire était déjà là ! Alors nous avons surtout travaillé les intentions. Finalement, malgré l'intention de départ, il n'y a qu'une ou deux scènes qui ont été tournées avec des dialogues improvisés.
• Aviez-vous fait un gros travail de repérages ? Saviez-vous où exactement tourner avant le début du tournage ? Comment avez-vous fait face au froid et à la neige ? Pour les français, les conditions paraissent extrêmes !
Myriam Verreault : Ils faisaient très froid ! Mais les techniciens de cinéma d'ici ont tous déjà travaillé dans ce genre de conditions hivernales. Et les acteurs étaient dans leur environnement habituel, ils étaient habitués à ces températures. J'ai visité la région de Sept-îles plusieurs fois pendant les années avant le tournage. Quand l'équipe est arrivée sur les lieux, je savais déjà où allaient se passer les scènes.
• Il y a une jolie couleur sur le film, quelques passages musicaux bien choisis, et les cadrages nous semblent « calmes et posés », ce qui d’ailleurs aide le spectateur à s’impliquer… vous apportez de la sérénité à vos plans. Tout ce travail résulte de choix, de cette volonté d’offrir un environnement à vos héroïnes et à ce monde - totalement inconnu de nous ?
Myriam Verreault : Toutes ces attentions résultent d'un attachement profond pour les personnages. Il y avait beaucoup de respect, de tendresse et d'amitié sincère sur ce plateau. Entre les membres de l'équipe qui étaient blancs en majorité et avec les acteurs innus. Je crois que cela se sent dans la façon de filmer l'endroit et les gens.
• Quels sont les souvenirs que vous gardez de ce tournage, avec vos actrices et acteurs ? Y a t-il eu des difficultés spécifiques, ou finalement s’est-il déroulé dans des conditions plutôt favorables ?
Myriam Verreault : J'ai le souvenir d'un bonheur authentique. Je me sentais sur mon X. Je voyais que les gens de la place avaient envie de participer à ce projet. J'aimais l'échange culturel que cela créait et l'ambiance était agréable. Très familiale.
• Quels sont vos projets après ce film ? Avez-vous mis à profit le confinement ou est-ce que l’immobilité mondiale vous a gagnée ?
Myriam Verreault : J'ai l'impression d'avoir beaucoup paressé et procrastiné et pourtant, j'ai deux longs métrages en développement et j'aurai, en l'espace d'un an, réalisé 18 épisodes d'une série télé. Au final, cela a été productif. Il y a juste eu moins de 5 à 7, festivals et soirée mondaine que prévu. :)
• Mille merci pour votre touchant film - non, enthousiasmant c’est le mot exact ! - … et à très bientôt nous l’espérons !
Myriam Verreault : Merci à vous et de l'attention portée à notre film !
Synopsis : Nord du Québec. Deux amies inséparables grandissent dans une réserve de la communauté innue. Petites, elles se promettent de toujours rester ensemble. Mais à l’aube de leurs 17 ans, leurs aspirations semblent les éloigner : Shaniss fonde une famille, tandis que Mikuan s’amourache d’un blanc et rêve de quitter cette réserve devenue trop petite pour elle...
Sylvain Ménard, juillet 2021