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marseilleS : Entretien avec la réalisatrice Viviane Candas
11 janvier 2021 à 17h20
À l'occasion de la présentation de la campagne participative pour financer le documentaire marseilleS, sa réalisatrice Viviane Candas répond à nos questions !
marseilleS raconte une ville plurielle : le tiers de sa population vient de l'immigration, ses nouvelles générations sont plus religieuses que leurs parents. Démarré en 1986 sur fond de montée du FN autour d'une famille algérienne retrouvée en 2018, le film révèle les problèmes d’exclusion que la loi sur le séparatisme prétend régler.
• Pourquoi cette optique, aujourd’hui - même si l’on tient compte de l’actualité - et alors qu’il y a pléthore de sujets qui pourraient sembler similaires ?
Viviane Candas : Parce que c'est une optique, justement, celle du cinéma ! Et que dans la confusion et l'hystérie générale je fais confiance aux images que j'ai tournées à Marseille en 1986 et en 2018, pour s'articuler de façon à faire entendre les paroles d'une famille immigrée algérienne. C'est le cinéma et la parole des vraies personnes de la vie courante contre les plateaux de TV et leurs débats de spécialistes stars ou de chroniqueurs excités qui finissent en clash.
• Votre point de vue est plutôt original, et comme il part d’une période plus lointaine, il dispose de points d’ancrages précis, que vous même avez argumenté. Comment avez-vous travaillé le montage ?
Viviane Candas : Nous avons fait pendant le confinement, elle à Paris, moi à Alger, avec ma complice monteuse Claudine Dumoulin, ce qu'on appelle dans le jargon du métier un "bout à bout", un montage de toutes les séquences intéressantes autour d'un plan, bien-sûr. Ce pré-montage fait 4h30, il faut y tailler maintenant le film qui devrait faire 1h30. Le vrai montage, va durer plusieurs semaines. Je ne sais pas encore si nous allons travailler côte à côte ou chacune chez elle. Ça aussi, c'est nouveau.
• Viviane Candas vous avez lancé une campagne de crowdfunding ; épaulée par diverses entités et associations : la production d’un documentaire comme le vôtre est si compliquée ?
Viviane Candas : Le montage, image et son, le mixage sont la partie la plus longue et la plus onéreuse d'un film. Pour la financer, je n'ai pas trouvé auprès des chaînes TV l'engagement que j'avais eu (de France3) en 1986 et que j'aurais pu attendre avec un tel sujet et surtout de telles archives rares et précieuses. Mais c'est aussi un constat de ce qu'est devenue la télévision ! La levée des fonds par crowdfunding est donc indispensable pour terminer le film. Je reçois en effet le soutien d'associations qui ont besoin du film car il y a un certain désarroi général devant ce qui se passe.
• N’êtes-vous pas inquiète à l’idée d’aller vers un sujet qui pourrait être perçu comme trop pamphlétaire ? À l’heure actuelle, on ne compte plus les sujets sur l’intégration, la société dans son ensemble, ceci incluant toutes les minorités, qu’elles soient ethniques ou religieuse…
Viviane Candas : Si j'y suis allée il y a 35 ans, ce n'est pas maintenant que ça va me faire peur ! Au contraire, c'est aujourd'hui que le film est le plus pertinent, car il apporte dans sa traversée du temps une bonne mise en perspective. Plus ces sujets sont devenus chauds, plus sa distance sera nécessaire. Et la force de ce film, c'est de rapporter une parole qui a évolué dans le temps. Des deux côtés. Les descendants d'immigrés ne disent pas la même chose que leurs parents, et l'extrême-droite qui voulait expulser les immigrés réclame maintenant de mettre les musulmans dehors. La place de l'islam aussi a évolué, elle est devenue la deuxième religion de France. Et un refuge problématique pour certaines populations qui se sentent exclues, mais ne représentent pas la majorité des immigrés qui sont fidèles aux valeurs de la République. Il n'y a pas d'islamistes dans mon film, je ne leur fais aucune concession.
• J’ai utilisé le terme de pamphlet, mais on pourrait aussi utiliser celui de polémique. N’est-ce pas là le plus gros écueil de votre projet, reprendre des courts métrages qui seront replacés dans un contexte plus récent ; et ceci sans dénaturer le propos ?
Viviane Candas : Ce que vous appelez court-métrages, ce sont les extraits que je montre sur le site Ulule. Nous les avons fait spécifiquement pour la campagne, pas il y a 35 ans. La monteuse et moi avons demandé à un jeune homme de 25 ans de choisir les moments les plus intéressants dans le prémontage des rushes. Il a tout vu, il a choisi ces 4 moments : la discussion des jeunes au bar qui parlent du désir de retour au pays de leurs parents, la discussion sur la religion, la discussion de Fatima, agent de relogement à Marseille, avec le journaliste André Bercoff (qui n'était pas encore devenu très à droite) et le repas de Fatima et Bercoff avec des gens du Front National. Une personne plus âgée aurait fait un autre choix. mais une des forces du film est de couvrir la même thématique sur deux générations et d'être la chambre d'enregistrement des différences et des évolutions.
• Vous pensez qu’un documentaire, plus qu’un film, une fiction, remplit cette fonction « d’alerte », de « mise en garde » plus efficacement ?
Viviane Candas : Je crois dans le pouvoir infini du cinéma, qu'il soit documentaire ou fiction. On ne travaille pas de la même façon l'un ou l'autre, c'est tout. Mais la question de la mise en forme, de la mise en scène, de la confrontation des images se pose toujours. L'important, c'est la sincérité de celle ou celui qui réalise car il est très facile de manipuler la parole des gens. Or, ce qui m'intéresse, c'est justement de la libérer pour les spectateurs.
Merci à Viviane pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Retrouvez l'article avec les informations sur la campagne participative…
Sylvain Ménard, janvier 2021