Se connecter
Sortie chez Tempéraments de ‘Night Windows’, une belle immersion dans le monde de l’orgue avec la jeune et talentueuse Lucile Dollat

12 février 2025 - 14:00
Le label Tempéraments a sorti fin janvier l’album ‘Night Windows’ consacré à l’orgue, et interprété par Lucile Dollat. C’est une immersion dans un univers sonore dominé par cet instrument que certains ne connaissent qu’en tant qu’accompagnement au sein d’un orchestre ; sur des musiques de films, des œuvres classiques, concertos ou symphonies. Mais on oublie trop souvent qu’on lui consacre des œuvres ; ou bien encore qu’il est ‘le’ représentant de la musique sacrée, s’exprimant avec emphase, solennité et majesté, dans une profusion de notes (c’est sa nature d’instrument polyphonique) dans ce qu’elles peuvent nous offrir de plus monumental, contemplatif ou impalpable. Et ici nous parlons bien de musique profane, et non pas sacrée, pour ce CD dédié à des œuvres aussi riches que diversifiées, de Ravel à Waksman en passant par les créations de Lucile Dollat elle même !
Pour nombre de mélomanes, ce qui est symptomatique d’une composition (ou d’une transcription) pour orgue, est bien ce caractère souvent évanescent, cette sensation de profondeur et d’écho qui nous est offerte lorsque nous l’écoutons. Le cinéma s’en est souvent servi pour donner de la profondeur (justement) en suscitant de l’effroi ou de la tension.
Instrument particulièrement exigeant, l’orgue est complexe et nécessite une maitrise sans faille. Nous ne nous engagerons pas sur ce sentier-là, mais avouons qu’écouter Lucile Dollat interpréter l’œuvre de Fabien Waksman, ou ses propres ‘improvisations’ qui sont d’ailleurs bien loin de n’être que ça ; c’est toucher du doigt à quelque chose de particulier, de fort.
Car entre des tonalités puissantes qui renvoient à des perceptions étouffantes parfois ; ou bien plus mystérieuses - quand elles ne sont pas perçues comme des impressions sonores fugaces - elles suscitent en nous des émotions contradictoires, s’avérant tout autant mélodiques que dissonantes ; et résolument ‘organiques’.
L’auditeur pourra ainsi avoir à certains moments l’impression que l’orgue joue avec les sensations en produisant des sons qui naviguent d’un bord à l’autre d’une structure mélodique, engendrant des phénomènes de réverbération comme s’ils se jouaient de l’acoustique de la salle.
Si l’Alborada del gracioso de Ravel peut surprendre celui qui n’avait jamais entendu cette œuvre dans sa version transcrite pour orgue, ; ces notes trépidantes et répétitives, cette forme si particulière, loin de l’interprétation au piano, et encore plus loin de celle pour orchestre, flamboyante et complexe ; elle offre une mise en perspective et une relecture originale profonde et différemment colorée.
L’auditeur sera peut être probablement plus à l'aise avec les compositions de Thomas Lacôte et Fabien Waksman, des œuvres plus modernes ou contemporaines pour orgue, et qui permettent avec la complexité et la profondeur des sonorités de l’instrument de développer des accords qui invitent à l’introspection, à la découverte.
Alain Jehan pour sa part a écrit ses œuvres vers la fin des années trente, des œuvres qui oscillent parfois entre réflexion philosophique ou religieuse - d’où le titre de ‘Litanies’ -, ou dans un cadre plus contemplatif comme nous l’offre son ‘Aria’.
Quant aux ’Songes’ écrits et interprétés par Lucile Dollat, ils sont d’une facture délicate et particulièrement agréables à écouter. On y perçoit certaines aspirations, l’envie d’illustrer des instants brefs et poétiques… des images et des sensations. De jolies compositions qui s’inscrivent dans un cadre résolument mélodique.
Un album pour un instrument que chacun a au moins une fois entendu jouer, mais qu’on trouve plus rarement honoré que d’autres… Une belle initiative qui en sus nous permet de découvrir une jeune musicienne de grand talent !
À seulement vingt huit ans, Lucile Dollat, se produit en Europe et est titulaire de l’orgue Cavaillé-Coll* de l’église Notre-Dame de la Gare à Paris, ainsi que de l’orgue de l’église Notre-Dame des Vertus à Aubervilliers. Elle est également organiste en résidence à Radio France, sur l’orgue de l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique.
* du nom de l’artisan d’Art qui l’a construit, Aristide Cavaillé-Coll, qui était, ce qu’on nomme, un facteur d’orgue.
Note : 'Night Windows', le titre de l'oeuvre de Fabien Waksman, sert de thème général au récital de Lucile Dollat, déployant les multiples possibilités sonores du grand orgue Grenzing de l'Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique. Cette « fenêtre ouverte sur la nuit » nous invite à un itinéraire imprévisible, à l'écoute de sonorités mystérieuses, impalpables ou tonitruantes, suscitant des évocations fugitives et poétiques, des fulgurances improvisées, et conférant une parure sonore renouvelée à quelques pièces du répertoire.
Sylvain Ménard, février 2025
Night Windows
Lucile Dollat (Orgue)
François Vallet (Percussions)
Label : Tempéraments
Ttp : 72’53
Maurice Ravel
01. Alborada del gracioso (transcription Lionel Rogg) 7:48Lucile Dollat
02. Songe 1. 3:53Thomas Lacôte
03. La nuit sera calme 15:15Lucile Dollat
04. Songe 2. 6:32Fabien Waksman
Night Windows (Three paintings for organ after Richard Pousette-Dart)
05. Hieroglyph, Black 10:05
06. Genesis, Red 03 5:03
07. Radiance, Blue 6:48Lucile Dollat
08. Songe 3. 5:21Jehan Alain
09. Aria 7:19
10. Litanies 4:43