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INTERVIEW DU FILM COUP DE POING 'ÇA ARRIVE' : SABRINA NOUCHI A RÉPONDU À NOS QUESTIONS
25 novembre 2024 à 22h00
Peu de jours avant la sortie de l’attendu 'ÇA ARRIVE’, SABRINA NOUCHI s’est prêtée au jeu des questions-réponses. Nous avions longuement parlé de ce film qualifié de ‘coup de poing’ (au risque d’être banal), aussi ça nous paraissait impossible de ne pas essayer d'avoir la possibilité d’échanger avec elle !
L’occasion nous a été donnée de pouvoir l’interviewer à distance, avec les outils du monde moderne… Ah les merveilles de technologie qui captent mal et vous insèrent du bruit de fond - un plaisir ! Ce qui fut par contre un plaisir, c’est cet entretien qui nous a permis de cerner les ambitions de Sabrina Nouchi, sa volonté de faire bouger les choses et réussir à interpeller le plus grand nombre. Le sujet - comme l’article vous le montrait, est nous seulement un sujet qui ne sera jamais (et malheureusement) que de l’actualité brulante, les chiffres seuls ne suffisent plus, c’est un mal de nos sociétés modernes.
L’interview ayant été retranscrite, notre souhait a été de ne pas déformer les propos de la réalisatrice. Nous vous souhaitons une bonne lecture !
Bonjour Sabrina, c’est un plaisir de pouvoir discuter avec vous de ÇA ARRIVE, qui sort sur nos écrans en cette fin novembre. C’est un film compliqué, souvent dur ; mais infiniment nécessaire comme nous avons pu le dire dans l’article paru en ce début de mois (l’article est ici).
Sabrina, tout d’abord voulez-vous parler avec nous de l’idée, d’où vient ce film, et du tournage !
Sabrina : L’idée de ce film est venue lors d’une séance de travail à La Fabrique de l’Acteur en 2017, en imaginant un dépôt de plainte pour viol. Est-ce que la personne serait entendue, sa plainte serait reçue, aurait-elle le même traitement que les autres ? De là est partie l’envie de raconter, pas qu’une histoire, mais plusieurs histoires et plusieurs témoignages. Hommes et femmes confondus… Voilà ! Et le tournage s’est déroulé assez rapidement, entre six et sept jours. Mais d’une façon très fluide.
… et pour un budget qu’on ose à peine citer, tant il paraît infime en regard d’autres productions !
Avec ÇA ARRIVE, on à l’impression de se retrouver avec un film indépendant, et qui loin d’un documentaire raconte une histoire (des histoires). On s’attendait d’ailleurs un peu au tout début à un film avec des reconstitutions, mais proche d’un documentaire ; et au contraire on éprouve de l’empathie par rapport aux personnages, on se sent comme happé dans le film !
Sabrina : C’est ça oui ! On a vraiment voulu être ‘border’ avec le documentaire, mais on tenait vraiment - je tenais vraiment - à ce que ça reste dans le cadre d’une fiction, puisque ça permet plus de choses dans la réaction du spectateur le fait que ce soit une fiction. Sinon on ne tombe tout de suite que dans l’empathie avec le documentaire, et ce que je voulais c’est qu’en plus de l’empathie qui est là au début du film, on arrive aussi au moment de la réflexion… et au moment où on s’extrait un peu de l’émotionnel et qu’on regarde les faits réellement avec un autre côté du cerveau, plus cognitif.
Et dès le début vous vouliez développer cette option qui était pour vous évidente, en l’occurence l’unité de lieu, d’action, de temps plus ou moins, nous sommes sur un nombre d’heures et de jours non définis, ça reste flou… et on y ‘tombe’, car on est tellement pris, happé par l’intensité qu’on ne peut faire autrement.
Sabrina : J’affectionne particulièrement les huis clos, ce n’est pas mon premier huis clos, mais là trouvais ça très intéressant qu’on ne ’s’extirpe pas’, qu’on ne sorte pas de ce commissariat ! … qui est 'enfermant' pour les victimes, les mises en causes, les policiers qui font leur travail ; et le fait que tout se passe à l’intérieur recentre vraiment sur le sujet du film qui est le viol. Sans fioritures extérieures, pour faire respirer le spectateur ; parce que dans les croyance communes, dans l’inconscient collectif on tend à reprocher ce parti pris au huis clos, alors que moi je n’ai jamais eu ce type de retour. Les financiers pensent qu’un huis clos est insupportable, et que le spectateur n’y tient pas.
Comment s’est déroulé le tournage, il y a eu des difficultés spécifiques ?
Sabrina : Non, aucune en fait ! Ça aurait été bien pour sa légende (rires), mais en fait ça a été le tournage le plus facile de ma vie. En terme de réalisation, de direction, de décors, on avait plus qu’à se poser et à tourner. Le film a été tourné en studios.
Vos acteurs sont assez époustouflants, eu égard à leur jeunesse, peu connus pour la plupart… qui viennent de cours, de votre école ?
Sabrina : Ils viennent tous de mon école, mais j’arrive à être assez objective, même si je suis très exigeante, et pas complaisante ! Il faut non pas que ça joue, mais que ça incarne. C’est un métier que j’enseigne et que j’affectionne particulièrement ; alors, oui, je suis très, très bluffée, et en même temps je le savais puisque je les avais pris pour ça…
Mais quand je vois le rendu au cinéma, je suis fière d’eux ! Fière de l’allure à laquelle ils l’ont fait, d’être bons dès la première prise, de ne pas faire de prise de ‘chauffe’ ; et la plupart des scènes ont été tournées en une ou trois prises maximum.
Dieu merci dans votre film il y a des moments plus ‘légers’ qui sont très intéressants, parce qu’ils montrent la complexité de l’écoute, de l’intervention, comme lors de la scène avec la femme transgenre qui représente exactement la problématique du manque d’échange, de l’incompréhension… Vous parlez ainsi de la dureté de la vie et vous poussez le spectateur à réfléchir !
Sabrina : En terme de réalisation, je ne faisais pas un film pour faire des beaux plans. Le sujet, l’histoire se suffit à elle même sans être surlignée au marqueur par une réalisation qui en fait des tonnes. J’ai fait assez simple, on peut adorer les films très esthétiques, mais là ce n’était pas le but. Et au niveau de l’inspiration, en fait on a imaginé les histoires, mais ce qui est malheureux c’est qu’en sondant son inconscient on les y trouverait sûrement, parce qu’on les a entendus quelques part ! Ce qui est fou, c’est que j’ai lu récemment un article sur des affaires de viols qui sont sorties, et qui sont exactement telles que celles du film. Nous quand nous les avons imaginé, on savait que c’était l’histoire de quelqu’un sur la planète. Mais on a pas eu besoin de ce témoignage-ci pour l’écrire, car malheureusement il y a tellement d’histoires autour de nous que finalement c’était assez simple d’écrire la dessus, et ça c’est malheureux.
Un mot sur la production française. Vous pensez qu’il y a une frilosité en France pour produire ce genre de film ?
Sabrina : En fait j’ai commencé à réaliser des films j’avais vingt-deux ans, et j’avais déjà des scénarios comme ça qui traitent de la pédophilie, de violence sexuelle… Il y en a déjà dans mes films ! Pas sur l’intégralité des films, mais qui évoquent ces thèmes là, à un moment ou à un autre. Je me souviens d’un acteur très connu qui est aussi producteur, qui m’avait dit au détour d’une conversation que produire des films sur la pédophile, ça, c’est pas vendeur ! Du coup je ne suis même pas passée par des boites de production, j’ai créée la mienne, ça ne m’intéressait pas qu’on vienne me dire ce que le public voulait voir ou pas.
Aujourd’hui on bataille avec les salles, les diffuseurs sont très frileux, ont peur des retours, de ce que le public veut voir ! Alors qu’on sort de festivals, on y a projeté le film, on a gagné des prix, prix du jury, prix du public. Le public qui sort de la salle bouleversé, choqué, ‘brassé’ !… mais avec les gens qui après disent qu’ils ont passé un moment qui les a fait réfléchir. Et moi j’ai l'intime conviction que si ce film est vu il va en choquer plein, en déranger plein. Mais c’est exact que les salles freinent, c’est un film d’une inconnue avec des inconnus ; même certains films, même des blockbusters ne font pas des cartons.
Quand va t-on arrêter de croire que l’on sait ce que le public veut voir !
Un dernier mort Sabrina ?
Sabrina : Un dernier mot !? J’espère que le film va être projeté en salles et qu’ils se rendront compte que le public… les gens veulent voir le film ! et qu’ils en attendent quelque chose.
Sylvain Ménard, novembre 2024
Le pitch : Dans un commissariat du 1er arrondissement de Marseille, trois enquêteurs, deux hommes et une femme, font face aux récits des viols qui sont perpétrés quotidiennement dans la cité phocéenne. Chaque jour, ils reçoivent des victimes de tout âge, genre et milieu social.