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Interview de Pascal Le Pennec pour la musique de 'SLOCUM et MOI', le nouveau film d’animation de Jean-François Laguionie

27 février 2025 - 16:00
‘SLOCUM et MOI’ est un fort joli film, une œuvre comme peu de réalisateurs sont capables d’en faire. Sa musique composée par Pascal Le Pennec est superbe, inventive et complexe, protéiforme elle épouse la poésie des images et souligne l’ambiance nostalgique de ce long métrage d’animation.
Notre compositeur a bien voulu se prêter - malgré le peu de temps que lui laissait la tournée d’accompagnement du film - au petit jeu des questions & réponses.
Comment avez-vous appréhendé cet univers musical que vous auriez à construire sur ce nouveau film de Jean-François Laguionie ? C’est votre troisième collaboration, chacune est différente, chacune a besoin de son propre univers… et êtes-vous arrivé sur le projet très longtemps en avance ?
Pascal Le Pennec : Chacune des collaborations avec Jean-François Laguionie a donné lieu à un cas de figure différent : sur LE TABLEAU, je ne disposais que de 3 mois, en tout et pour tout, pour composer environ 45 minutes de musique en majeure partie symphonique, sur un film terminé... c'est très court ; pour LOUISE EN HIVER, j'ai obtenu 9 mois et j'ai travaillé sur "animatique" ; enfin, s'agissant de SLOCUM ET MOI, le projet s'est déroulé sur plusieurs années, durant lesquelles je me suis aussi consacré à d'autres films.
Il faut dire que la demande de Jean-François Laguionie était très particulière, puisqu'il souhaitait que la musique soit un préalable à tout ! Il voulait construire son film SUR la musique, et non l'inverse. Je n'avais ni film, ni "animatique"... pas même de scénario pour commencer à travailler. Je me suis fait mon propre film ! J'ai composé et pré-orchestré une vingtaine de thèmes, que j'ai maquettés sur échantillonneurs, et le réalisateur a fait ses choix. Par la suite, nous avons travaillé de façon plus conventionnelle, j'ai répondu à des demandes précises de sa part.
Nous nous sommes tout de suite entendus sur les deux formations instrumentales à entendre dans cette BO : l'orchestre symphonique, notamment pour les scènes de mer, et un ensemble de jazz manouche, pour reproduire l'atmosphère des années 50 sur les bords de Marne.
Ces derniers temps on a comme l’impression que les compositeurs français ont le vent en poupe avec le cinéma d’animation, et c’est tant mieux ; d’abord parce que nous adorons ce médium, ensuite parce que vous y faites preuve d’une élégance et d’une empathie par rapport au sujet peu souvent constatée…
Pascal Le Pennec : Merci de ces paroles agréables ! Je me rends compte de la chance que j'ai, d'évoluer surtout dans le domaine du long-métrage d'animation. La musique y joue un rôle primordial, pas seulement de manière illustrative, pour accompagner l'action, mais aussi pour renforcer le sens de certaines scènes.
Rendre compte de l'intériorité des personnages, c'est peut-être la caractéristique de la "manière française".
Je vais vous poser la même question qu’à Olivier Daviaud. Vos albums sortent à quelques semaines d’intervalle, vos musiques accompagnent des films d’animation. Olivier a été votre élève ! Le fait que vous soyez tous les deux sur des films d’animation, cela relève-t-il d’une certaine forme de coïncidence !? (rires)
Pascal Le Pennec : Il est exact que je connais Olivier depuis fort longtemps ; il avait été mon élève, en cours de formation musicale... et j'avais bien sûr repéré ses dons à l'époque !
Chose amusante, nous nous sommes retrouvés en 2011, alors qu'il venait de composer la BO du film LE CHAT DU RABBIN, et moi celle du film LE TABLEAU... deux longs-métrages d'animation ! Mais lui et moi évoluons aussi dans d'autres genres cinématographiques que l'animation.
Votre composition s’est structurée de quelle façon - en travaillant à l’image - en discutant avec le réalisateur ou la production - en fonction d’axes ou de demandes spécifiques décidés en amont… et tout ça en disposant d’une relative liberté ?
Et comment avez-vous écrit ces beaux thèmes qui nous ont interpellés, où puisez-vous votre inspiration ? On sent votre amour du classique moderne, de la musique contemporaine, de la belle musique…
Pascal Le Pennec : Jean-François Laguionie m'a laissé entière liberté de proposition, et a sélectionné des thèmes de nature très différente, selon ses besoins... musique symphonique et jazz façon manouche, mais aussi des pièces qu'il m'a demandées spécifiquement : un Noël dans le style baroque, une musique de fanfare, quelques pages plus dissonantes...
S'agissant de mes influences, il est certain que je nourris depuis toujours une passion pour la musique française du XXème siècle, depuis Fauré, Debussy, Ravel, jusqu'à Messiaen, en passant par Poulenc et Honegger. Les Russes aussi. Mais ce qu'il y a de merveilleux, de passionnant, en musique de film, c'est qu'on doit se plier à des demandes extrêmement variées. Je regrette du reste une tendance actuelle, consistant à piocher systématiquement dans des musiques additionnelles pour des besoins spécifiques ! Mon plaisir, dans ce métier, c'est d'être compositeur "caméléon"... même si j'espère laisser chaque fois quelque chose de personnel, malgré la diversité de styles !
On trouvera certains de vos morceaux trop courts (bien trop courts), mais chacun d’entre eux est écrit avec minutie, détaillé (on pense à la durée) de sorte qu’il ne nuise pas au déroulement du film ; et tous sont très équilibrés.
Pascal Le Pennec : On est souvent amené à composer des pièces courtes en musique de film. Cependant, dans SLOCUM ET MOI, il y a des morceaux assez développés, comme "La Tempête", qui dure 4 minutes, ou l'adagio qu'on entend dans son intégralité dans le générique fin.
C’est une belle création, ne vous sentez-vous pas tenté par des compositions plus ‘longues’ ? Vous vous êtes attaqué au théâtre, en quelque sorte à de la ‘musique de scène’ ; mais un concerto, un ballet, une symphonie (pourquoi pas !), ça ne vous tente pas ?
Pascal Le Pennec : Justement, Jean-François Laguionie, Anik Le Ray et moi-même avons un projet de conte musical, pour l'ONB, l'Orchestre National de Bretagne.
Comment se sont déroulées les sessions d’enregistrement ? La musique est conséquente, très riche et particulièrement bien orchestrée… Tout ce travail, toutes ces étapes avec les musiciens, parfois les solistes, l’orchestre dans son ensemble, est un travail long en général et on imagine que là vous avez dû travailler de façon plus concentrée ne fut-ce qu’en terme de budget et de délais ?
Et d’ailleurs doit-on batailler avec le réalisateur et la production sur des questions de choix, entre musique mélodique, orchestrale ou intimiste… sur la forme qu’elle prend et la façon de donner vie à votre œuvre !?
Pascal Le Pennec : J'ai la chance - assez incroyable - d'enregistrer avec mon fils aîné, Johannes, chef d'orchestre, qui dirige habituellement le répertoire classique, invité par différentes formations, mais qui participe depuis 2008 à mes sessions de musiques de films. J'écris l'orchestration (j'ai horreur de déléguer ce travail !), mais lui, il dirige. Beaucoup de compositeurs dirigent mal leurs oeuvres, car ce n'est pas le même métier ! En faisant appel à un vrai chef, on gagne beaucoup de temps en séances.
Et pour ce qui est des questions budgétaires, j'ai eu le bonheur, jusqu'à présent, de ne pas vraiment m'en préoccuper !... les producteurs, en lien étroit avec mon agent, Raphaël Vinzant, ont toujours trouvé les solutions. Il faut dire que j'enregistre souvent avec l'ONB, un orchestre pleinement partenaire de mes projets cinématographiques. Et j'ai toujours enregistré en France.
Cela dit, on vit tous avec des étiquettes, collées dans notre dos. Ainsi, je crois qu'on m'a collé définitivement l'étiquette "orchestre"... j'aimerais tellement qu'on m'appelle aussi pour composer 15 minutes d'instrument seul ou petite formation !
Vous êtes édité chez 22D Music, c’est une belle initiative qui prouve que des labels ‘osent’ et se ‘projetent’ sur l’avenir.
Et concernant l’édition, la question de la dématérialisation… deux choses antagonistes ! Quel est votre sentiment quant à l’édition aujourd’hui ?
Pascal Le Pennec : Je remercie 22D de s'intéresser à ma musique, depuis LE TABLEAU, mais je regrette qu'on édite de moins en moins de CD physiques.
Tout ça pour nous amener à une question plus générale, celle relative aux plateformes, Deezer, iTunes & autres… Comment percevez-vous la place qu’elles occupent, l’espèce de monopole qu’elles souhaitent mettre en place ?
Pascal Le Pennec : Je me méfie de toutes les situations monopolistiques, des grands groupes qui imposent leurs lois. Un exemple : il est devenu très difficile de faire inscrire de manière claire, précise et complète le nom des gens avec qui on travaille (ce qu'on appelle les "crédits interprètes"). Or je viens de la scène, du spectacle vivant, et je trouve insupportable de ne pas pouvoir citer aisément tous les collaborateurs. Je refuse toujours que mon nom apparaisse seul... or cela devient la règle en édition phonographique de musique de film.
Sylvain Ménard, février 2025
Crédits photos : © Laura Favand,
Pascal Le Pennec, 22D Music
lien film : https://www.cinemaradio.net/news/slocum-moi-le-nouveau-film-d-animation-de-jean-francois-laguionie-est-un-pur-joyau-864
lien musique : https://www.cinemaradio.net/news/pascal-le-pennec-signe-slocum-moi-la-nouvelle-incursion-dun-compositeur-discret-dans-lunivers-poetique-du-cineaste-jean-francois-laguionie-862