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Compositeur de la musique de la série d’animation ‘L’armée des romantiques’, Olivier Daviaud se livre à Cinémaradio avec enthousiasme et sincérité

24 mars 2025 - 15:00
Nous avons parlé de cette musique il y a quelques semaines en évoquant une « composition remarquable et inspirée ». Être compositeur c’est être, par définition, tourné vers les autres puisqu’on leur offre son travail ; et que ce dernier se trouve ‘exposé’ d’une façon irrémédiable, par le biais du prisme qu’est le cinéma et le film auquel se rattache la musique ! On peut parler de communion avec les autres, ce qui semble être plus qu’une évidence.
Pour ‘L’armée des romantiques’, Olivier Daviaud offre à Cinémaradio une bien belle interview que nous vous invitons à découvrir ci-dessous !
EN PRÉAMBULE…
Pouvoir interviewer un ‘artiste’, un compositeur dont la vie est tournée vers cet Art qu’est la musique (4ème art dans l’ordre), et vers le 7ème art, donc le cinéma, est un privilège dont on ne se lasse pas.
Chaque interview est différente, et nous découvrons souvent les sensibilités qui se cachent au sein des compositions, mais (et surtout), les envies, les besoins d’exprimer telle ou telle chose par le biais de sa création.
Olivier Daviaud est un compositeur particulièrement attachant parce qu’il ne craint pas de déborder de son cadre et de s’aventurer hors de ce qui serait sa zone de confort, en répondant aux questions avec sincérité, mais également inquiétude parfois.
En disant à quel point le monde actuel souffre et dans quelle mesure la culture, les arts (notre vie et celle de la société) en souffrent directement ; Olivier souligne les incohérences* et évoque l’amitié, l’empathie et l’envie de cheminer avec les autres, nous offrant une jolie leçon d’humanité et de résilience !
*… tout comme Pascal Le Pennec l’avait fait en parlant des rémunérations et des ‘crédits’ d’auteurs, de la politique des plateformes…
L’INTERVIEW…
N’est-ce pas un rêve un peu fou, celui de composer une musique relativement 'classique' de forme sur un dessin animé produit par le service public ? C'était une volonté commune avec la réalisatrice ?
Olivier Daviaud : Nous n’avons pas particulièrement parlé de composer une musique « classique ». L’idée de départ, avec Amélie Harrault, la réalisatrice, était d’évoquer la jeunesse et la modernité de cette armée de romantiques. Pour cela, j’ai composé très librement, avec des outils stylistiques d’aujourd’hui, faisant certes des références aux musiques savantes des XVIIIe et XIXe siècles, mais j’ai par ailleurs écrit, par exemple, des petites mécaniques rythmiques que l’on peut penser issues des musiques répétitives américaines du XXe siècle ; et, l’on peut également entendre, ça et là, des allusions à la musique « pop » ou aux musiques de genre (le western, le film noir…). On pourrait plutôt qualifier ma musique de « postmoderne », un postmodernisme détaché du pastiche ou de l’ironie. Je crois que j’ai plutôt cherché à retrouver l’émotion, le lyrisme, l’imagination et l’héroïsme propres au mouvement romantique. Amélie a rapidement adhéré à mes propositions, par conséquent la question du style n’a pas tellement été évoquée entre nous…
Hasard des sorties et des agendas des labels, ton score est disponible peu de temps avant celui de Pascal Le Pennec pour Slocum & Moi chez 22D Musics. Et autre hasard, tu as étudié le solfège avec Pascal… Parle-nous de cette relation que tu entretiens avec lui, de tes souvenirs. D’ailleurs est-ce une coïncidence, mais vous travaillez tous deux sur des films d’animation !
Olivier Daviaud : Il y a bientôt 50 ans que je connais Pascal, ah ah ! Il était effectivement mon tout premier (et très jeune) professeur de Formation Musicale, quand j’avais 6-7 ans, dans la petite ville d’Etrechy dans l’Essonne. Il a été le premier à repérer mon oreille « absolue », et ma sensibilité de musicien. Nous sommes restés en contact, et, quand j’avais une vingtaine d’années, et que j’hésitais à poursuivre des études de musicologie ou de musicien, il m’a bien mis en garde sur la quasi incompatibilité entre les deux voies - le musicologue privilégiant la sédentarité, la théorie et la raison, et le musicien le mouvement, la pratique et l’émotion. Par ces paroles, il m’a encouragé implicitement à rester musicien ! J’ai toujours beaucoup apprécié la finesse, la sensibilité de Pascal, comme instrumentiste, arrangeur et compositeur, mais aussi comme être humain. Il m’a fait comprendre qu’il n’y avait pas de frontières entre la « grande musique » et les musiques plus populaires, et c’est en partie grâce à lui que j’ai osé penser que peut-être je pourrais exercer d’une manière ou d’une autre le métier de musicien. Pour ce qui est du fait que l’on travaille en ce moment tous deux sur des films d’animation, oui, c’est une totale coïncidence !
Comment as-tu construit la musique des épisodes ? Au cas par cas, dans une optique 'ouverte', où bien en te basant d'abord sur les échanges avec la réalisatrice et les thématiques évoquées, les personnages (l’axe le plus important), puis en composant à l'image ? Et comment te vient ta musique dans ce cas précis ?
Olivier Daviaud : Amélie m’a invité à participer au projet dès le début de l’aventure, il y a de nombreuses années maintenant. Nous avions déjà travaillé ensemble sur son merveilleux court-métrage « Mademoiselle Kiki et les Montparnos », et souhaitions tous deux pouvoir collaborer à nouveau. J’ai commencé à écrire des thèmes à partir de ce qu’Amélie me racontait de sa vision de la série - alors qu’elle n’avait encore quasiment rien écrit. Nous avons vite décidé d’adopter le principe wagnérien du « leitmotiv » : un thème récurrent est associé à chacun des personnages principaux, à chaque type de situation… Ainsi Balzac possèderait son motif propre, tout comme Dumas, Baudelaire, Sand et les autres. Des thèmes musicaux ont aussi été associés au fantastique, à la mort, l’amour, la gloire ou la révolte… On procédait plutôt ainsi : que veut-on évoquer, raconter dans telle scène, quelle est l’évolution de tel personnage ? J’essayais de traduire tout cela en musique. Sur la fin de la production, une fois que les images existaient enfin sous leur forme définitive ou quasi-définitive, j’ai adapté cette foison de thèmes à l’image, effectivement. En animation, la production est très longue, et, comme j’étais associé au projet dès le début, j’ai eu le temps de composer beaucoup, digérer, transformer, affiner jusqu’au bout.
Sur ‘L’armée des romantiques’, ce sont de petites 'œuvres', des miniatures pour être plus précis que tu as écrit. C'était un processus complexe, après avoir trouvé tes thèmes, de trouver le tempo ou la dynamique interne, de les enrichir et de les ornementer ? Puis tu as travaillé l’orchestration de quelle façon ? Y avait-il des demandes spécifiques à ce niveau, le fait que ta musique s’inscrive dans un contexte historique très précis, une période romantique de l’histoire française qui plus est ?
Olivier Daviaud : J’aime beaucoup les formes courtes. Peut-être parce que j’ai été biberonné à la chanson française ? J’ai beaucoup d’idées mélodiques, j’adore inventer des parcours harmoniques, et trouver l’arrangement qui fera que la forme épousera du mieux possible le fond ; je suis adepte de la « ligne claire », faussement simple. Je peine un peu sur les formes plus longues. C’est pourquoi, je crois, le cinéma me va bien : on y écrit beaucoup de musiques relativement courtes, des « miniatures », comme tu dis. En ce qui concerne l’orchestration, j’ai imaginé des ensembles très variés, toujours en fonction de l’émotion que l’on souhaitait faire passer : parfois un piano et quelques choeurs ou cordes, jusqu’au grand orchestre, pour les scènes de révolutions par exemple… L’orchestration me vient souvent en même temps que l’idée première. Je n’ai pas spécialement pensé à la musique « française ». Il se trouve que je suis français, et j’imagine que l’on doit sentir cela d’une manière ou d’une autre, mais ce n’est pas quelque chose que j’ai à l’esprit…
Tu nous a dit en préambule que tu avais joué les instruments, interprété les voix, y compris les timbres un peu féminins que l'on peut entendre par moment ! Tu as enregistré certains instruments directement puis on imagine que tu as mixé et enrichi avec tes interprétations (voix ou instruments). C'est un travail qui semble harassant, mais finalement n'est-ce pas la clé sur un budget de ce type, très serré, et qui dans le même temps requière une écriture minutieuse et aux différentes 'couleurs' ? Une forme de polyvalence, maitriser les différentes facettes de ton Art ?
Olivier Daviaud : J’ai effectivement tout joué et chanté tout seul, chez moi, dans mon petit studio de travail. Le budget modeste et l’agenda serré en fin de production ne me permettaient pas vraiment de faire autrement. J’ai vite imaginé mêler des instruments classiques (cordes, bois et cuivres) à des instruments plus récents (thérémine, guitare électrique, percussions) ; la voix chantée est omniprésente, comme un contrepoint chaleureux aux petites voix intérieures des protagonistes. En ce qui concerne la voix, c’était une demande explicite de Judith Nora, la productrice, et d’Amélie Harrault, la réalisatrice. Cela tombait bien, je n’aime rien tant que chanter ! Une place de choix a été donnée au piano, notamment pour les scènes plus intimes. Et j’ai dû me résoudre à utiliser des instruments virtuels en plus de ceux que je possède, pour simuler les plus grandes formations, mais je crois, j’espère, que cela fonctionne tout de même pas mal... J’ai passé énormément de temps à trouver les bonnes couleurs, aidé en fin de course par mon complice mixeur Nicolas Delbart.
Ça a été un travail de longue haleine ? En fait tu as travaillé sur de longues périodes, plus que de façon intensive en fonction des nécessités de la production, comment s’est déroulé tout ce travail ?
Olivier Daviaud : Oui cela s’est passé par phases. Dans la première phase, il y a 8 ans environ, les tout premiers thèmes sont nés en dehors de toute image. Amélie m’avait simplement parlé des personnages principaux de la série, de leur caractère, et de quelques situations. Ce travail a duré quelques semaines, un premier jaillissement très joyeux. Il y a eu dans mon souvenir une deuxième phase, il y a quatre ans environ, où j’ai affiné les premiers thèmes et où j’en ai trouvé quelques autres, en fonction des demandes de la réalisatrice. Une phase plus laborieuse pour tout le monde. A ce moment de la production, par exemple, sur quelques scènes en cours d’élaboration, Amélie « posait » des musiques préexistantes, qu’il m’a fallu remplacer au final. Ces « temp tracks », beaucoup de compositeurs ont du t’en parler, c’est souvent la partie la plus difficile, car on s’habitue à elles, et, pour l’équipe de réalisation et de production, il faut parvenir à faire le deuil de ces pistes temporaires et accepter la musique originale du compositeur, qui peut être parfois assez éloignée de celle de départ… Je pense ici par exemple à deux scènes concernant Balzac, où Amélie avait placé une musique de Saint-Saëns pour la présentation de « La Comédie Humaine », et une musique de Beethoven pour l’enterrement de Balzac, et il ne m’a pas été évident de remplacer ces musiques qui fonctionnaient si bien ! J’en ai un peu bavé, mais au final ces séquences font partie de mes préférées ! Puis la troisième et dernière phase est arrivée : la finalisation de la série, sur les 4 derniers mois - un mois de travail pour chacun des 4 épisodes de 52 minutes. La phase la plus intense. Au total il y a 2h30 de musique ! Un bon gros travail, dans la joie et la bonne humeur, toute l’équipe de la série étant adorable et travaillant en bonne intelligence. C’était dense, parfois éprouvant, mais jamais douloureux.
Puisque nous évoquons la production, que penses-tu de ce qui est mis en place actuellement, de la musique au sein des séries, films ou documentaires ? Les sorties se font de plus en plus le reflet d’un certain mode de fonctionnement, et la facilité de la violence est partout… l’absence de ‘beau’ au sens large est perturbante !
Olivier Daviaud : Par où commencer ? On vit globalement une période difficile, je veux dire, la planète entière… Le néolibéralisme détruit tout ce qui fait société, les fascismes sont à nos portes. La culture est par conséquent mise en danger de toute part. Il faut se battre, de toutes les manières possibles. J’essaie pour ma part de résister en tant que citoyen, et, en tant que compositeur, j’essaie de continuer à faire ce que je sais faire : apporter un peu de sensible, un peu de « beau » au monde. Pour cela, intuitivement, et pragmatiquement, je fais mienne cette citation d’Hayao Miyazaki : « Ma conclusion est que l’espoir implique de travailler et de lutter avec les personnes qui comptent pour vous. En fait j’en suis arrivé à un point où je pense que c’est ce qui signifie être en vie ». Pour « L’armée des romantiques », avec Amélie Harrault et Judith Nora, productrice chez Silex, j’ai ressenti ça : de l’amitié et de belles luttes. Je n’imagine pas qu’il en soit autrement pour mes projets à venir. C’est tout ce qui compte.
Ah… et peut être pour terminer ; la question qui fâche : quid des plateformes de streaming, nécessité ou impasse ? (la faible rémunération, les questions de droits) Toi qui a été édité au format vinyle, la dématérialisation est déjà passée par là, néanmoins les couts de productions (CDs) sont plutôt bas, et quoiqu'on en dise le vinyle offre un excellent rapport qualité/prix et est une valeur sûre.
Olivier Daviaud : Les plateformes de streaming, c’est vraiment compliqué. Effectivement, les artistes sont si peu rémunérés que c’est vraiment un scandale. Il faudra parvenir à trouver d’autres voies, changer les lois, etc. La dématérialisation, tout comme le problème des IA, d’ailleurs, sont des questions complexes, je ne prends pas du tout le temps de réfléchir à cela… Mais si le vinyle redevenait le mode d’écoute favori des gens, oui, j’en serais bien sûr ravi !
Sylvain Ménard, mars 2025
Crédits photos : L’Armée des Romantiques, Amélie Harrault, SILEX FILMS, ARTE France